Musulman pratiquant, terroriste possible!

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

Chronique«Mon fils n'a jamais été un terroriste. Jamais il a fait la prière et il boit». De bonne foi, ce père a tellement intériorisé l’image que les politiques et les médias européens donnent de l’islam et de ses dérives que pour lui l’exercice de la terreur ne peut venir que d’un militant islamiste.

Le 27/03/2017 à 11h03

«Mon fils n'a jamais été un terroriste. Jamais il a fait la prière et il boit. Et sous l'effet de l'alcool et du cannabis, voilà où on arrive», a déclaré le père de l’homme qui s’est attaqué samedi 18 mars à une patrouille de militaires à l’aéroport d’Orly avant d'être abattu. Ziyed Ben Belgacem, un Français d’origine tunisienne de 39 ans, braqueur multirécidiviste signalé comme radicalisé en prison, s’était attaqué à une militaire de l’opération Sentinelle en se disant prêt à «mourir» au nom d’Allah. 

De bonne foi, ce père pense que pour être terroriste, il faut être musulman pratiquant. Il ne comprend pas comment son fils, qui avait raté sa vie et ne respectait rien, pouvait être soupçonné de terrorisme au nom d’un islam qui n’a rien à voir avec la religion et la culture des musulmans.

Il a tellement intériorisé l’image que les politiques et les médias européens donnent de l’islam et de ses dérives que pour lui l’exercice de la terreur ne peut venir que d’un militant islamiste. L’amalgame a été fait sciemment entre cette religion, qui interdit le crime comme le suicide et le terrorisme qui se cache derrière, au point où il suffit de parler d’islam pour répandre la méfiance et la peur entre les gens.

Cette anomalie devrait nous alerter et prouve que les grands théologiens d’Al Azhar, d’Al Qaraouiyne ou de Zitouna n’ont pas fait leur travail de clarification. Face au travail de sape de la culture islamique par des politiques qui comptent sur leur haine de l’islam et la peur de cette religion pour gagner des voix aux élections, les autorités musulmanes ne disent rien. Seule Sa Majesté Mohammed VI réagit chaque fois que l’occasion se présente et rappelle le sens des valeurs que porte cette religion.

Tant qu’il n’y a pas une mobilisation à l’échelle de tous les pays musulmans dans le monde, l’amalgame, la haine, la peur et la stigmatisation régneront et donneront de l’islam cette image de violence et de terreur.

Ce n’est pas un hasard si Donald Trump, parfait représentant d’une majorité d’individus ignorants et racistes, se permet d’étaler publiquement tous les préjugés anti musulmans et se voit encouragé par des groupes qui mélangent tout sans avoir la moindre idée de ce qu’est l’islam.

Il en est de même en France avec le Front National et le candidat à l’élection présidentielle François Fillon. Ils disent n’importe quoi sur l’islam que leurs électeurs confondent sciemment avec le terrorisme.

Il n’y a rien à attendre de ces hommes et femmes politiques qui font feu de tout bois afin d’atteindre leur but. Mais que les Oulémas d’Egypte, de Jordanie, du Maroc fassent entendre la voix de la vérité, la voix de la raison. Un droit de réponse est nécessaire chaque fois que l’islam est diffamé. Mais si on n’utilise pas ce droit dans des pays démocratiques, personne d’autre ne se lèvera pour rendre justice à une écrasante majorité de musulmans paisibles et discrets qui vivent et travaillent sans commettre le moindre délit.

Voilà pourquoi la réaction du père de Ziyed est symptomatique de l’amalgame dont souffrent les musulmans vivant en Europe. On attend toujours qu’un homme politique européen de valeur s’adresse à cette communauté pour l’apaiser, laver son honneur de tout soupçon et bien distinguer les «têtes brûlées» de la grande majorité de personnes qui souffrent profondément dans leur existence des dégâts de cet amalgame odieux. On ose à peine imaginer les réactions scandalisées si à chaque fois qu’on parle d’un prêtre, on pense à un pédophile. Pourtant, toutes proportions mesurées, c’est aux mêmes raccourcis dangereux que se livrent ceux qui cultivent avec méthode l’association entre islam et terrorisme.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 27/03/2017 à 11h03