Comment on devient terroriste

DR

ChroniqueUn article édifiant de Tahar Benjelloun a été publié dans les quotidiens "La Reppublica" (Italie) et "Le Monde", sous l’intitulé «Comment on devient terroriste». Un précieux éclairage que Le360 reproduit intégralement pour ses lecteurs.

Le 28/03/2016 à 11h20

On ne le dira jamais assez : l’efficacité dont font preuve les services de sécurité marocains est exceptionnelle. Il ne se passe pas de semaine sans qu’une cellule de présumés terroristes ne soit démantelée. Cela vient de la vigilance de tout un peuple. C’est aussi cela l’amour de la patrie. On peut avoir des divergences politiques, on peut critiquer le gouvernement, protester contre telle ou telle décision, les Marocains dans leur ensemble montrent combien ils sont unis pour que jamais ce pays ne devienne le théâtre d’un chaos que tant d’adversaires et ennemis cherchent à créer.

Cependant, comment devient-on terroriste ?

Cette fois-ci j’essaie de donner une réponse en ce qui concerne ceux qui agissent en Europe. Le fait que la plupart d’entre eux, nés en Belgique ou en France, soient d’origine marocaine nous pousse à nous interroger encore plus sur les malheurs et dérives de l’immigration qui est loin d’être un pique-nique.Voici l’article que j’ai publié la semaine dernière dans "La Repubblica" (Italie) et "Le Monde" : 

"Les attentats à Bruxelles sont une suite logique et quasi attendue de ce qui s’est passé le 13 novembre 2015 à Paris. C’est une même rage, une haine sans limite de l’Occident qui animent ces enfants européens issus de l’immigration maghrébine. Pourquoi tant de cruauté? Pourquoi ces assassinats aveugles? Comment devient-on un monstre qui sacrifie sa vie en tuant le maximum de personnes autour de soi?

Beaucoup d’éléments et de facteurs divers contribuent à fabriquer un monstre, c’est-à-dire quelqu’un qui renie son humanité et fait le malheur autour de lui. La plupart des terroristes qui ont commis des attentats en Europe sont des enfants d’immigrés. C’est un constat. Ces individus n’ont jamais reçu ou n’ont jamais inculqué les valeurs que porte la civilisation d’où viennent leurs parents. Ces derniers, aussi impuissants que les services de sécurité, ont leur part de responsabilité dans ce qui arrive même s’ils sont plutôt à plaindre. Parce qu’ils n’ont aucune autorité sur leurs enfants, ils ont raté leur éducation. Ils n’ont pas su ni pu leur transmettre la valeur culture, meilleur barrage contre la barbarie. Ils n’ont pas su les protéger contre le mal absolu, un fanatisme enrobé dans un drap islamiste.

L’immigration est une rupture et un arrachement ; c’est comme un arbre qu’on a arraché et qu’on plante dans une autre terre, mais il tient à peine debout, car c’est comme une greffe, les racines ne se replantent pas facilement en dehors de la terre d’origine. La culture qu’ils apportent avec eux en terre étrangère tient en peu de chose, elle est assez pauvre, même la religion se résume à quelques rites qui se confondent avec des coutumes et traditions.

On peut être illettré et avoir une assise culturelle féconde et solide. Quand on ne peut pas transmettre à sa progéniture une culture vive et sereine, on se contente de ce qui reste. Place au flou d’une vue brouillée par un environnement pas toujours amical. On est pris par le découragement et, peu à peu, on renonce à donner à ses enfants les ingrédients d’une éducation forte et utile. On laisse faire la rue, le hasard, le destin. C’est ainsi que les enfants de l’immigration, pas tous heureusement, mais quelques-uns parmi eux se trouvent en mal de culture et de valeurs qui les rassurent et leur donnent une sécurité ontologique, c’est-à-dire de leur être et de leur identité.

L’ontologie est ce qui constitue notre être, ce que nous sommes. Notre identité est ce qui nous détermine: un nom, un prénom, une famille, un pays, une nationalité, des références culturelles et aussi religieuses ou pas des repères qui rassurent et désignent le chemin à prendre. Si notre être ne sait pas qui il est, d’où il vient et à quelle culture il appartient, il perd l’équilibre et devient disponible pour remplir cette case avec ce qu’on lui proposera.

Les parents ont subi ce qui arrive et se sont tus. Les pères ne furent pas des héros ; ils ont renvoyé à leurs enfants une image de défaite et d’impuissance. Certains de leurs enfants, consciemment ou inconsciemment, ont voulu les «venger» tout en les quittant. Ils ont créé le chaos et le malheur, tuant des innocents. Je ne suis même pas certain qu’ils pensent ce qu’ils font. Ils ne s’appartiennent plus ; ils sont dans un délire qui convient parfaitement à leur état d’esprit qui est plein de trous, des trous béants que le discours religieux va vite combler.

Un certain nombre d’enfants d’immigrés souffrent d’insécurité ontologique et pourtant ils ne prennent pas les armes pour tuer des innocents. C’est là qu’intervient «L’Etat islamique» avec sa propagande diabolique. Dans ses discours, il parle de vengeance et de mort. Il promet un avenir radieux à ces enfants abandonnés par «l’Europe mécréante», il leur offre une issue, un projet doué d’un sens. Il leur dit: "Vous n’avez pas trouvé de sens à votre vie, «l’Etat islamique» vous propose de donner un sens à votre mort en luttant dans la Voie de Dieu (Fi sabili Allah) qui mène au paradis". Il présente l’Occident comme un pays uniquement matérialiste, sans spiritualité, sans les valeurs divines qui sont le début et la fin de l’Humanité.

Ce discours-là, des jeunes gens issus de l’immigration, l’entendent et le suivent. Ils étaient disponibles pour le croire et passer à l’action, obéissant aux ordres d’une organisation structurée et qui va jusqu’au bout de ses promesses et de ses menaces. Elle mène une guerre partout où elle trouve des failles. L’Europe, entité faible et sans consistance, est justement pleine de trous. «L’Etat islamique» les a investis depuis longtemps. Des soldats, promis au statut de martyrs, attendent un signal pour créer le chaos et répandre la terreur. Ils le font sans hésiter ou presque parce qu’on a su les convaincre que mourir, c’est mieux que de vivre dans des pays présentés comme «hostiles à leur foi», en outre, ils seront récompensés par Dieu.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/03/2016 à 11h20