Outre son cadre idyllique de forêt profonde à base de robustes chênes-verts, cet endroit, Toumliline, suscita, dans les années 1952-1965, une vague d’enthousiasme et d’espoir, parmi penseurs et responsables musulmans et chrétiens envisageant un avenir optimiste entre ces deux catégories de croyants. Le futur Hassan II et sa sœur Lalla-Aïcha, Mehdi Ben-Barka, les ministres Mahjoubi Aherdane et Driss M’hamedi, le journaliste Moulay-Ahmed Alaoui, l’orientaliste français, Louis Massignon, devenu prêtre de rite oriental, la princesse Geneviève d’Orléans et sa fille Henryane, l’archevêque de Rabat, entre autres, vinrent à « Toum », au monastère bénédictin, devenu en peu d’années un foyer de réflexion et dialogue, suscitant de l’intérêt jusqu’au Japon ou au Brésil.
Ce fut cependant un feu de paille et dès 1965, bénédictins tonsurés, grandes dames sunnites ou catholiques, philosophes, politiciens ou altesses, désertèrent ce haut lieu éphémère. La forêt, avec ses singes, ses renards, ses lynx reprit ses droits, même si dans les proches environs un pavillon de chasse royal et des colonies de vacances continuaient à attirer du monde sous la ramée. Le site même du monastère ne se réveilla que lorsque le cinéaste français Xavier Beauvois vint, faute de pouvoir le faire dans la dangereuse Algérie voisine, tourner à « Toum », « Des hommes et des dieux » (2010), directement inspiré par le massacre des moines de Tibarine (1996) ; ce film devait enlever la prestigieuse palme d’or au Festival de Cannes.
UN CANDIDAT BOXEUR
Passée cette brève résurrection, l’ancien monastère, ou ce qui en reste, a été rendu à ses fantômes. Lorsque nous y fûmes, début octobre 2016, outre un brave gardien impotent, seuls quelques moutons et surtout des singes peuplaient le site, les primates s’occupant à déchirer les tracts lancés par le cortège d’un important candidat aux élections législatives … Un candidat moins important, mais plus amusant, et venu, avec une seule voiture, essayer sans doute d’obtenir la voix du vieux gardien, se montra peu après sur l’esplanade de « Toum », arguant de son passé de boxeur pour séduire l’électorat …
UNE ZAOUIA (*) D’UN GENRE NOUVEAU ?
Rien, en tout cas, ne peut retirer sa simple et grandiose beauté à ce lieu du Moyen-Atlas où n’a pas cessé de flotter le souvenir d’une expérience spirituelle de haut vol. Ce souvenir incitera peut-être un jour un mécène, un penseur, un élu à faire revivre Toumliline sous forme d’une sorte de « zaouïa» où germerait un durable rapprochement entre croyants d’origines diverses. Aucun rêve n’est interdit, non ? (à suivre)
(*) En arabe, littéralement « coin » et par extension foyer de réflexion religieuse musulmane. Lyautey appelait son bureau de Rabat sa « zaouïa » …
Prochain article de cette série atlassique : II Palais et mécènes d’Azrou à Ifrane