Tout récemment, je me suis trouvé, dans un vol Royal Air Maroc, à côté d’un quadra marocain en train de lire l’excellente (et peu «correcte politiquement» …) nouvelle revue française «Conflits». Nous avons engagé la conversation à partir de cette publication, et de là nous avons évoqué le prochain sommet Poutine-Mohamed VI, prévu en Russie. Quelle a été alors ma déception de constater que ce cadre libéral à l’esprit curieux ignorait l’ancienneté des relations entre l’Empire des Romanoff et celui des Alaouites, puisqu’elles remontent à 1777 lorsque le sultan Mohamed III Ben Abdallah et la tsarine Catherine II la Grande se mirent d’accord, par diplomates interposés, pour s’ouvrir mutuellement leurs ports respectifs. Une chose rare à l’époque.
Dans cet esprit, la Russie impériale inaugura un consulat à Tanger en 1897 et, après la Révolution bolchévique de 1917, nombre de Russes blancs, fidèles au tsar, vinrent offrir leurs services à Moulay Youssef et au maréchal Lyautey. Des églises orthodoxes furent édifiées à Rabat et Casablanca. Dans la nécropole chrétienne de Ben-M’sik, à Casa, on peut voir aujourd’hui un carré russe où sont ensevelis plusieurs hauts personnages de la ci-devant Russie tsariste, militaires ou civils.
Mais revenons à mon voisin d’avion: s’il ignorait l’accord russo-chérifien de 1777, il en savait long en revanche sur la complémentarité maroco-russe actuelle: l’immense Russie, peu riche en agrumes, tomates et légumes verts(*) a d’autant plus besoin de ceux du Maroc que l’Union européenne, appliquant les ordres de Washington, a cessé ses exportations agricoles vers la Russie, coupable, figurez-vous, d’avoir récupéré sa Crimée, comme dans le passé la France récupéra l’Alsace-Lorraine et le Maroc le Sahara atlantique …
La Russie de son côté peut être un réservoir inépuisable de touristes pour plages, palmeraies et djebels de Chérifie. Et les voyageurs russes sont réputés pour leur côté fêtard et dépensier, ce qui n’est pas le cas, loin de là, de tous les hivernants ou estivants venus d’Europe occidentale …
«Last not least», comme dirait Shakespeare, la troisième rencontre Mohamed VI- Poutine (Moscou 2016, après Casablanca 2006 et Kuala-Lumpur 2003) vient à point nommé pour montrer à l’hégémonique Washington (et à son suiveur Paris) la volonté d’indépendance de la diplomatie marocaine. N’oublions pas que le président Vladimir Poutine, suspect aux yeux de l’Euro-Amérique pour avoir renoué avec une conduite souveraine dans les relations internationales, a été en quelque sorte mis en quarantaine par la Maison-Blanche, l’Elysée et le 10 Downing Street ; le chef du Kremlin a été ainsi traîné dans la boue par nombre de médias occidentaux dont certains sont allés parfois jusqu’à le comparer à un «nouvel Hitler» ( sic) …
Sur ce fond géopolitique, alourdi par les arrière-pensées et une bonne part de mauvaise foi des Occidentaux, la clarté du nouvel axe Maroc-Moscou qui se dessine, apporte un peu d’espoir de renouveau et de fraîcheur sur une partie du théâtre international.
(*) Lors de sa réception par le roi, en 2006, au palais de Casablanca, le convive Poutine redemanda deux fois d’un tajine aux artichauts …