Salafisme végétarien (et dialogue de sourds)

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueCe qui me sidère, c’est la chose suivante : que le quotidien le plus prestigieux du pays publie ces élucubrations dont l’effet pratique est très exactement zéro.

Le 21/09/2016 à 10h59

Une controverse a récemment éclaté à propos de l’Aïd-el-Kebir dans un journal néerlandais, le nrc.next, qui est prestigieux ici mais que peu de gens connaissent au-delà des canaux qui enserrent Amsterdam. Vous n’avez donc aucune raison d’être au courant. Je me fais un plaisir d’éclairer votre lanterne, d’autant plus que l’affaire a un petit côté absurde assez plaisant.

Les protagonistes ? D’un côté, une certaine Sandra van de Werd et un incertain pasteur Hans Bouma, deux dirigeants du ‘Comité pour l’aide aux animaux en détresse’ qui proposent tout bonnement d’interdire l’Aïd-el-Kébir aux Pays-Bas, ou plus précisément d’interdire l’abattage de moutons qui accompagne la fête traditionnelle des Musulmans. «Faites la fête, grognent Sandra et le pasteur, l’œil sévère et l’index levé, mais laissez ces pauvres moutons tranquilles !» Bêêêê…

À cette injonction sans nuances, une Margreet van Schie, spécialiste des religions, répond dans le nrc.next daté du 19 septembre. Autrefois, dit la docte dame, il y a des siècles, les gens étaient si pauvres qu’ils ne pouvaient manger de la viande qu’à l’occasion des fêtes religieuses : celles-ci contenaient toujours un sacrifice rituel d’animaux. L’odeur montait flatter les narines du Seigneur mais la viande cuite restait en ce bas-monde : elle était distribuée entre les fidèles. Pourquoi ne pas faire la même chose aujourd’hui ?, propose Margreet aux Musulmans. Pourquoi ne pas manger joyeusement le mouton du sacrifice pendant l’Aïd – à condition de faire comme vos ancêtres (les fameux salaf sâlih) le reste de l’année : ne pas manger de viande ? Ce serait une sorte de salafisme végétarien…

Je ne porte aucun jugement sur les propositions de Sandra, du pasteur ou de Margreet. Ce qui me sidère, c’est la chose suivante : que le quotidien le plus prestigieux du pays publie ces élucubrations dont l’effet pratique est très exactement zéro. Vous imaginez une famille musulmane devenant tout à coup végétarienne à la suite d’un débat mené par des inconnus dans les pages intérieures d’un journal qu’elle ne lit jamais ?

A l’inverse, il doit probablement y avoir, dans des journaux du Maghreb ou du Machreq, des chroniques dans lesquelles des gens donnent gravement, en arabe, des conseils aux Européens sur la meilleure façon de pratiquer leur religion – et lesdits Européens s’en fichent royalement, bien entendu, n’ayant pas l’habitude de prendre conseil dans des gazettes portant le nom de Al-mustaqbal ou Al-muwâtin.

Personne n’écoutant personne, c’est le dialogue de sourds dans toute sa splendeur. Un optimiste dirait qu’il vaut mieux avoir un dialogue de sourds qu’une zizanie entre pèlerins à l’ouïe fine. On se console comme on peut…

Par Fouad Laroui
Le 21/09/2016 à 10h59