Les marocanologues ont encore frappé

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ChroniqueSi un Marocain se permettait d'écrire un tel livre sur un pays européen, trouverait-il un éditeur pour le publier?

Le 11/07/2018 à 10h58

Les marocanologues, ce sont ces pseudo-experts qui prennent la plume pour pondre des articles ou des livres consacrés à un Maroc qui ressemble très peu à celui que nous pratiquons tous les jours, vous et moi. Leur Maroc est un produit de leur imagination, de leurs préjugés ou de la fée Carabosse. Je me vois obligé de revenir régulièrement sur cette question au risque de me répéter. Tant pis! Voltaire disait: “Tant que vous ferez les mêmes bêtises, je vous ferai les mêmes critiques.”

Bien sûr, il y a, et il y a eu, d’excellents analystes étrangers de notre pays. Certains ont écrit des classiques que nous relisons encore aujourd’hui avec profit. Julien, Berque, Rivet, Waterbury, Leveau, Gellner, Geertz, Pascon, etc., sont indispensables. Si tous ceux qui s’intéressaient au Maroc avaient la classe, l'érudition et les scrupules scientifiques de ces grands messieurs (et j’en oublie certainement), il n’y aurait aucun problème.

Hélas, ce n’est pas le cas. J’ai déjà eu l’occasion d'évoquer ces modernes marocanologues qui semblent tirer toutes leurs informations de chauffeurs de taxi loquaces ou d’adolescents boutonneux “pleurards, rêveurs à nacelles”, comme dit le poète. Aux Pays-Bas, certains de ces informateurs présentent cette particularité intéressante qu’ils ne parlent aucune des langues du Maroc et qu’ils n’y mettent jamais les pieds. De vrais spécialistes.

La semaine dernière, je me suis procuré un ouvrage publié à Paris dans une grande maison d'éditions universitaires, les PUF. (Par charité laïque, je tairai le nom de l’auteure. Je ne veux pas nuire à sa carrière. Elle est encore jeune, elle pourra s’améliorer.) Au bout de quelques pages, je note une première erreur flagrante. Puis deux, puis trois. A la dixième erreur (vous voyez, je suis indulgent…), j’ai arrêté le massacre et remisé le livre tout en haut de ma bibliothèque, loin de ma vue. Il y a des limites à ce qu’un homme peut supporter. Je vous laisse juge, amie lectrice, ami lecteur:

p. 24: “La société marocaine est faite de communautés non-arabes.”

p. 26: “Un siècle plus tard, les Ottomans dominent le Maroc…” [Nous avons beaucoup souffert sous le Turc, c’est bien connu…]

p. 29: “La fermeture des frontières entre l’Algérie et le Maroc depuis les années 1970…” [Vingt ans après, aurait dit Alexandre Dumas…]

p. 36: “Les événements de 2011 ont sonné la fin de l'ère Hassan II.” [Ils ont ‘sonné’ avec plus de dix ans de retard…]

p. 51: “Al Adl wal Ihsan a une orientation républicaine…” [Le calife est un grand républicain…]

p. 54: “Les investissements saoudiens au Maroc sont élaborés pour favoriser l’arabisation des écoles coraniques.” [Les écoles coraniques marocaines enseignaient en portugais?]

p. 68: “L’Arabie saoudite a créé la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc.” [Une jolie création, ma foi.]

p. 68: “Au début des années 1970, aucun Marocain ne parlait arabe.”

Là, j’ai arrêté de lire. Au début des années 1970, je passais l'été avec mes frères et sœurs sur la plage d’El Jadida, avec nos cousines d’Essaouira et des amis de Marrakech. Nous jouions au foot, au rami, au volleyball, nous nous baignions, nous bronzions, nous mangions des beignets, nous écoutions Oum Kaltoum… mais quelle langue parlions-nous? Cette marocanologue vient de me révéler que nous ne parlions pas arabe. Alors quelle langue parlions-nous? Quetchua, inuit, tagalog? Sur cette grande interrogation, j’ai fermé le livre en me posant une question, une seule: si un Marocain se permettait d'écrire sur la France, l’Espagne ou les Pays-Bas un livre qui contiendrait une erreur grossière à chaque page, trouverait-il un éditeur pour le publier?

Par Fouad Laroui
Le 11/07/2018 à 10h58