Le Maroc est le paradis des écrivains, surtout de ceux qui manquent d’imagination: il suffit d’ouvrir les yeux, les absurdités abondent, les situations cocasses vous tombent dans le bec comme alouettes rôties, le loufoque se promène gravement par les rues et par les chemins, appuyé au bras de l’inconcevable déguisé en arlequin.
Vous me dites: «Quoi? Qu’est-ce qu’il y a, cette fois? Qu’est-ce qu’on t’a encore fait?»
Moi, rien. Mais quelqu’un de très proche de moi, de ma famille pour tout dire, et il se pourrait même que ce fût ma sœur, quelqu’un décida donc, la semaine dernière, d’aller découvrir les îles du Cap-Vert. Pourquoi pas ? Il n’y a pas que Venise, Paris ou Marrakech dans la vie. «J’avais une semaine de congé, m’écrit-elle, j’ai voulu aller au Cap Vert, alléchée par une pub annonçant un vol direct de la RAM pas trop cher. Oui mais... Il n’y a pas d'ambassade de ce beau pays au Maroc. Comment acquérir un visa? Pas de problème (théoriquement…), le Cap-Vert offre la possibilité d’obtenir le visa en arrivant sur place, à l’aéroport.»
Ami lecteur, sauras-tu deviner la suite? Sauras-tu déceler, averti par ta longue fréquentation de notre tatillonne administration, le moment exact où cette histoire va basculer dans la onzième dimension, dans l’absurde, le flou, l’impossible?
Tu l’as sans doute deviné. Voici le hic grandiose et que seuls nous autres sommes capables d’inventer: notre police des frontières refuse de laisser embarquer dans ce vol les gens qui n’ont pas ledit visa sur leur passeport… Imaginez la tête de cette dame au moment où elle découvre la chose. Elle convoque la logique la plus élémentaire (pour avoir le visa, il faut aller là-bas, donc embarquer dans ce foutu avion), Bouazza déguisé en flic lui oppose le règlement: t’as pas d’visa, tu embarques pas!
Je ne sais pas s’il existe une affiche vantant ce vol Casa-Trucmucho (je dis ‘Trucmucho’ car j’ignore quel est le nom de la capitale du Cap-Vert et j’ai la flemme d’aller consulter l’encyclopédie), mais si cette affiche existe, on aurait pu tout aussi bien la barrer d’un comminatoire «Interdit aux Marocains!» imprimé en lettres géantes. Dites-moi, valeureux lecteurs, vous auriez réagi comment si vous vous étiez trouvés nez-à-nez avec cette affiche ? Votre sang n’aurait fait qu’un tour, non? Vous auriez ameuté la garde, lancé une pétition sur Fessebouque, manifesté sur la voie publique, hein? Alors pourquoi ne faisons-nous rien contre ce vol interdit de facto aux ressortissants de l’Empire chérifien?
PS : Le correcteur me fait remarquer qu’une affiche ne possédant pas de nez, l’expression «Tomber nez-à-nez avec une affiche», utilisée quelques lignes plus haut, n’a aucun sens et qu’il me faut donc la changer dare-dare. Je réponds: «Franchement, monsieur le correcteur, avec tous les problèmes qui nous assaillent à chaque coin de rue, on va s’embêter avec une histoire de nez?»