Je ne vais pas entrer ici dans le débat qui oppose ceux qui veulent plus de mosquées à ceux qui estiment que l’argent dépensé serait mieux utilisé ailleurs. J’éprouve beaucoup de sympathie pour Najia Nadir, la fameuse bienfaitrice de Settat qui avait fait don de 12 millions de dirhams pour la construction d’une école au lieu d’investir dans l'érection d’un minaret, comme tant de chevillards enrichis– et c’est bien d’un investissement qu’il s’agit puisque lesdits moul ch’kara escomptent une place au Paradis en échange de leur "bienfait".
Donc bravo, madame Nadir, respect! comme disent les jeunes, mais il s’agit d’autre chose dans ce billet: il s’agit de savoir, une fois la décision prise de construire une mosquée, quelle forme elle aura.
Et c’est là que les choses se gâtent.
La plupart des cinquante mille édifices religieux que compte notre beau pays sont d’une banalité révoltante. Le corps de l’ouvrage est un parallélépipède, un pavé évidé en somme, soit la construction la plus élémentaire qui soit. Est-ce là tout ce que nous pouvons imaginer pour rendre grâces à Celui qui a conçu le papillon, les galaxies, le corps d’Aphrodite? Et puis il y a le minaret, qui ressemble à la tour des pompiers d’une cité moldave– et encore, il y a de ces dernières qui évoquent les tours élégantes de San Giminiano; le minaret, sans la moindre fioriture (est-ce parce que ce mot fait référence aux fiori, aux fleurs, et que nous n’avons pas, hélas, la culture des fleurs offertes à la maîtresse de maison ou à l’élu(e) de cœur?); le minaret, d’une sécheresse désolante qui annonce la sécheresse de cœur de ceux qui considèrent la religion non comme acte d’amour mais comme sauve-qui-peut général; le minaret, qui semble avoir été construit par des disciples de Heidegger, à Tata ou Tahanaout, pour illustrer la parole du maître: "La technique est la fin de la métaphysique."
Vous me dites:– Qu’importe? L’essentiel se passe dedans, quand on prie.
Ouais. Vision à court terme. Regardez les églises, en Europe. Elles aussi ont été construites pour ce qui s’y passait dedans. Mais aujourd’hui qu’elles sont le plus souvent vides, elles sont devenues des monuments classés, visités par les touristes, admirés par les amateurs d’art. Si la France est la première destination mondiale, ses sites les plus courus sont Notre-Dame-de-Paris et le Mont-Saint-Michel: deux édifices religieux dans le pays de la laïcité. Qui viendra visiter nos mosquées tristes et sans grâce, dans un siècle?
Et à propos de Notre-Dame, que disait Viollet-Le-Duc, celui-là même qui en construisit la flèche, hélas détruite par l’incendie d’Avril dernier? "L’architecture est le miroir de l’idéologie." De quoi une mosquée laide est-elle le miroir?
Même la plus vilaine église du monde (à mon humble avis, c’est la basilique Notre-Dame de Fourvière, qui surplombe Lyon) a encore quelque chose à offrir; la superbe abside, dans le cas de Fourvière, évitera la malédiction éternelle à son architecte. Les nôtres n’ont même pas cela puisque, à part quelques tapis, il n’y a rien, rien, dedans.
A El Jadida, à quelques jets de pierre de la maison où habite encore ma mère (voisine de celle où habitait la maman de Driss Jettou mais vous me dites que ce genre de détail n’a aucun intérêt et vous avez raison, donc je le retire); donc, à El Jadida, dans la cité portugaise, il y a un étrange minaret à cinq côtés, au lieu des quatre usuels. Pourquoi cinq? Mystère. Mais ce détail ne cesse de m'étonner et de m’émouvoir quand je passe dans la capitale des Doukkala. Sois-en remercié, constructeur original dont le nom s’est perdu: grâce à toi, cette mosquée est unique. Elles devraient l'être toutes.
On a demandé à feue Zaha Hadid de concevoir le grand théâtre de Rabat, et c’est tant mieux; mais, dans la foulée, on aurait dû lui commander une demi-douzaine de mosquées. Son style "organique" aurait fait des merveilles. De fières stalagmites s'élevant dans le ciel pour appeler à la prière, ç’aurait eu de la gueule…
C’est pourquoi je conclus ce billet par un appel cordial mais néanmoins pressant à M. le ministre des Habous: à quand une loi spécifiant que toute nouvelle mosquée doit être conçue par un architecte dûment diplômé et qui aura campé toute une semaine à l'intérieur de la grande mezquita de Cordoue? Après tout, si nos ancêtres ont été capables de construire cette merveille, cette forêt de colonnes qui crée une oasis minérale en pleine ville, pourquoi pas nous?