Éloge des sciences humaines

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueÉtant ingénieur moi-même, je ne contredirais pas ce samouraï sur ce point : il nous faut effectivement des as de la règle et du compas. Mais ce n’est pas suffisant! Une société a aussi besoin de sociologues, d’anthropologues, de philosophes, etc., sinon nous ne serions que des fourmis industrieuses.

Le 27/04/2016 à 10h58

Le quotidien Le Monde a eu la bonne idée de se pencher sur les programmes scolaires imposés par le pseudo-calife de Raqqa dans les écoles et les lycées qu’il contrôle. On apprend sans surprise que la première mesure prise par l’illuminé a été d’interdire toutes les sciences sociales, sauf l’Histoire. Et encore, s’agissant de celle-ci, c’est une Histoire tronquée, truquée et trafiquée qu’il propage, qui n’a d’autre objectif que de justifier ses prétentions à réunir sous sa bannière tous les musulmans. Il peut toujours rêver…

En attendant, posons-nous cette question cruciale: pourquoi tant de haine? Je veux dire: pourquoi cette détestation des sciences humaines chez tous ceux qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes? Il ne s’agit pas seulement des bigots de tout poil. On se souvient de ce sinistre ministre japonouille qui, l’an dernier, avait envoyé une lettre à toutes les universités de l’Archipel leur enjoignant de fermer leurs départements de sciences humaines. «Ça ne sert à rien, avait clamé l’âne de Tokyo, ce sont des ingénieurs qu’il nous faut!»

Étant ingénieur moi-même, et ayant un temps exercé cette noble profession du côté de Khouribga, je ne contredirais pas ce samouraï malencontreux sur ce point: il nous faut effectivement des as de la règle et du compas. Mais ce n’est pas suffisant! Une société a aussi besoin de sociologues, d’anthropologues, de philosophes, etc., sinon nous ne serions que des fourmis industrieuses. Ce sont les sciences humaines qui nous incitent à réfléchir sur ce que nous faisons, qui en étudient les conséquences et nous aident à faire les bons choix techniques. L’ingénieur dit: «nous pouvons faire cela», son collègue sociologue réplique: «en voici les conséquences sur la société», l’anthropologue ou le psy ajoute: «voyons voir les incidences sur l’homme, sur notre psyché, etc.»

Mais le plus important – et c’est là ce qui inquiète et horrifie aussi bien Iznogoud que les robots japonais -, le plus important, c’est que les sciences humaines nous apprennent à tout relativiser. Re-la-ti-vi-ser: l’abomination pour les fanatiques! Un de mes amis, auditeur assidu au Collège de France, m’a raconté l’anecdote suivante. Un jour qu’il discutait religion en famille, alors qu’il était en vacances au Maroc, il s’aventura à parler avec enthousiasme de ce qu’il avait appris récemment rue des Écoles: tout ce qu’on trouve dans les livres sacrés – le Déluge, par exemple - se trouvait déjà, sous une forme ou sous une autre, dans les légendes et dans les mythes des peuples anciens. Rien de nouveau sous le soleil: l’Homme est partout le même. Cette conclusion d’anthropologue, on la lui fit payer cher. On se leva de table, on l’ostracisa, il y gagna une réputation de kâfir: on ne relativise pas la Révélation ! Il ne voulait pourtant que l’humaniser…

Eh bien, nous savons maintenant où cette haine des sciences humaines nous mène: au calife de quat’ sous et sa bande d’assassins. Est-ce là que nous voulons aller ?

Par Fouad Laroui
Le 27/04/2016 à 10h58