Des robots humains à Casablanca!

DR

ChroniqueFaut-il que nous prenions toujours le pire du progrès technique et jamais le meilleur?

Le 31/01/2018 à 15h12

Ma sœur, ulcérée, m’écrit ceci: «Tu veux un exemple de la déshumanisation en marche? En voici un, et même trois puisque ça m'est arrivé trois fois dans des supérettes différentes, à Casablanca, le mois dernier. Le gars à la caisse est totalement absorbé par le visionnage d’une vidéo sur son smartphone. J’arrive devant lui. Il ne lève même pas les yeux. Je pose les articles, il les passe un à un à la caisse, le montant s’affiche, je lui tends un billet, il me rend la monnaie tout en continuant de regarder sa vidéo. Ni bonjour, ni merci, ni au revoir. Pas un regard, pas un sourire. Où est le facteur humain, l’accueil, la chaleur? Autant avoir des robots.»

Si c’est arrivé trois fois en un mois à une seule personne, c’est que la pratique doit être répandue. Vous devez aussi être victimes de cette déshumanisation, amis lecteurs. Comment en sommes-nous arrivés là? Il y a une génération, nous étions loin d’avoir le niveau de développement de l’Allemagne ou du Japon mais, au moins, nous étions fiers de n’avoir pas perdu le sens du contact humain.

Je me souviens d’une petite scène qui m’avait ouvert les yeux, au début des années 80. Je devais prendre le bus à la CTM de Casa pour aller prendre l’avion à Nouasseur. Je demandai un billet au guichetier, un homme d’un certain âge. Il me regarda d’un air peiné puis me dit:– Et tu ne sais pas dire bonjour? Tu vas à l’étranger pourquoi?

– Pour passer des concours à Paris, lui répondis-je, interloqué.

– Tu vas étudier en France? Mabrouk. Mais n’oublie pas que tu seras l’ambassadeur de ton pays là-bas. Montre-leur notre meilleur visage. Nous sommes des oulad nass, des gens bien élevés. Quand on arrive à un guichet, il faut sourire, dire bonjour et ensuite seulement formuler sa demande.

Je n’ai jamais oublié cette leçon. Mais aujourd’hui (à Casa seulement ou partout au Maroc?), les rôles semblent s’être inversés, à en croire ce que me raconte ma sœur. Elle a raison d’exiger quelques mots, un sourire… Si les êtres humains ne sont plus à la hauteur, il sera facile de construire un robot avenant. Vous me direz que son sourire sera factice. Et alors? Vaut-il mieux avoir une absence totale de sourire?

Vous me dites: «Le robot n’a pas de conscience». Parce que celui qui nie complètement son humanité et la nôtre en a une?

Vous me dites: «Le gars est mal payé.» C’est un argument, ça? Il faudrait lui donner une “prime de regard’’ et une “prime de sourire’’ pour qu’il daigne lever les yeux sur le client?

Faut-il que nous prenions toujours le pire du progrès technique et jamais le meilleur? Quand le téléphone portable fit son apparition, il y a vingt ans, les règles du savoir-vivre qui régissent son usage n’étaient pas encore fixées. Il fallut quelques années pour que s’établisse une sorte de modus vivendi. Au tout début, en Italie, les gens le laissaient sonner en pleine messe et répondaient à haute voix pendant le service… Il fallut une fatwa du Pape pour qu’on en modère l’usage. Je me souviens que dans les boulangeries d’Amsterdam avait fleuri, à l'époque, ce post-it: «Je serai ravi de vous servir quand vous aurez fini de téléphoner.» Les gens comprirent, à la longue.

Revenons au Maroc. Que nous réserve l’avenir dans ce domaine? A vrai dire, l’avenir sera ce que nous en ferons. Soit nous acceptons passivement la “grossièreté technologique’’ (tiens! un nouveau concept…) et nous deviendrons tous de plus en plus malpolis et c’en sera fini du raffinement qui étonna Jan Potocki quand il visita l’Empire chérifien en 1791; soit nous nous éduquons les uns les autres et nous resterons civilisés. A nous de choisir.

Par Fouad Laroui
Le 31/01/2018 à 15h12