Il n'est pas interdit d'avoir des conversations métaphysiques avec sa mère. Les échanges peuvent aller au delà des habituels “La harira est-elle chaude?”, “Pourquoi ne viens-tu pas me voir plus souvent?” et “La cousine Naima s'est mariée, la pauvre.”
Donc, à l'occasion d'une remarque portant sur un touriste excellent homme mais “hélas chrétien”, je fis remarquer à ma mère qu'il était inutile de s'apitoyer sur son cas car, nasrani ou pas, il irait au paradis comme elle et comme l'hirsute imam qui arpente usuellement l'ex-place Gallieni, à El Jadida. Cette conversation se tenait en effet dans un appartement dont les fenêtres donnent sur ladite place.
(J'ouvre ici une parenthèse pour m'étonner avec vous, amis lecteurs, de ce fait ahurissant qu'il nous faut un demi-siècle, à nous autres Marocains, avant d'accepter les nouveaux noms de nos rues. La place Gallieni ne s'appelle plus comme ça depuis au moins trois papes, mais aucun J'didi ne connaît son nouveau nom - j'ai vérifié.)
Revenons à nos moutons théologiques. L'aïeule s'étonne. Hein, quoi, comment, les chrétiens aussi iront au paradis?
- Et même les juifs, affirmé-je avec l'aplomb d'un docteur de la Qarawyine.
Et de lui montrer, dans son propre Coran allé chercher dans la pièce voisine, le verset 62 de la sourate II, celle bellement dite “La vache“.
Stupéfaction de la génitrice! Elle soupçonne une hérésie, un sophisme, voire une plaisanterie mais j'ai l'air plus sérieux qu'Ibn Taymiyya un jour de rage de dents. Elle argumente: ne s'agit-il pas d'un verset abrogé? Que nenni, lui rétorqué-je! C'est l'un des derniers versets révélés, par quoi aurait-il pu être abrogé et remplacé?
Convaincue, elle murmure:
- Mais pourquoi le fqih ne nous dit-il pas ce genre de choses?
Je réprime la phrase qui s'était formée dans ma tête (“Parce que le fqih est un benêt”) et me contente de lui faire remarquer qu'il faut se réjouir de ce verset généreux qui nous permettra de retrouver là-haut Socrate et Montaigne, Einstein et Edith Piaf, Freud et Marie Curie.
- Et Aznavour?
Va pour Aznavour. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour faire plaisir à sa mère...
Et maintenant, à mon tour de vous poser la question: pourquoi les fqihs passent-ils sous silence ce verset?
PS du correcteur: la phrase “... son propre Coran allé chercher...” est incorrecte, elle viole les lois de la grammaire française, mais impossible de faire entendre raison à cette tête de mule de M. Laroui, qui refuse de la corriger. J'abandonne. Je m'en lave les mains. Qu'il se débrouille!