Il y a cinq millions de Marocains à l’étranger, la plupart des binationaux. Aux Pays-Bas, ils sont maires de Rotterdam (le poumon économique du pays) ou d’Arnhem (la ville où se déroula la fameuse bataille immortalisée par le film Un pont trop loin); ou bien ils… ou plutôt elle (mon amie Khadija Arib) préside le Parlement. Aux Etats-Unis, c’est l’un d’eux que le Président a chargé de trouver un vaccin contre le Covid. En Belgique, ils sont des centaines à faire partie de l’élite politique ou économique. En Espagne… bref, inutile d’insister, you get the picture comme dirait Hakim, le meilleur cuisinier “français“ de Londres (né à Boulaouane).
Certains souhaitent faire profiter leur pays natal de leur expérience et de leur talent. Mais la plupart hésitent. Il y a mille raisons pour cela mais celle que j’ai entendue samedi dernier n’est pas la plus mauvaise.
Me promenant le long de l’Amstel, je tombe sur N., financier de haut vol (il brasse des milliards pour une banque). Il interrompt son jogging dominical le temps de bavarder avec moi. Et comme je suis en ce moment préoccupé par la question du retour au pays natal, je la lui pose.
N. réfléchit un peu, contemple des rameurs qui s’entraînent au loin, des cyclistes, des couples qui flânent… Puis il me dit:
– Il fait très beau aujourd'hui. Il y a de superbes endroits dans les environs, au bord du fleuve. Je vais justement pique-niquer tout à l’heure avec ma copine du côté d’Ouderkerk. Un petit paradis de verdure, la tranquillité et surtout… (Il se met à rire) surtout, il n’y a jamais de flic qui apparaît soudain à l’horizon et vient te demander: hadik ach tat-jyk? [Celle-là, elle t’est quoi?]
Il me raconte alors la mésaventure récente de son cousin qui était avec sa sœur dans sa voiture, à Taza, quand un policier les arrêta et lui demanda d’un ton rogue:
– Chkoune hadik? [C’est qui, celle-là?]
Est-ce que ces ruffians savent que nous étions autrefois une société raffinée où on ne parlait pas des femmes en disant “hadik“? Savent-ils que l’amour courtois et les troubadours sont nés en Andalousie? Et par ailleurs, en quoi ça regarde la force publique, un citoyen et une citoyenne dans la même voiture, le même kayak, la même montgolfière?
– Je rentrerai au Maroc le jour où on y traitera les adultes comme des adultes; et les femmes avec respect.
Sur ce, N. me fit un signe de tête en guise d’au-revoir et reprit son jogging. Et je restai là avec une phrase dansant devant mes yeux, une phrase qui semblait résumer tout cela:
– Fichez la paix aux citoyens, nom de D… !