Hier mardi, vers midi. Une petite dame fragile, âgée de soixante-quatorze ans, l’air d’une grand-mère qui gâte ses petits-enfants avec de délicieuses confitures, prend la parole à Londres. Tout le Royaume-Uni retient son souffle. Anglais, Écossais, Gallois et Irlandais du Nord sont suspendus aux lèvres de Lady Hale, qui préside la Cour suprême. En moins d’un quart d’heure, la vieille dame, experte en matière judiciaire, porte au Premier ministre Boris Johnson des coups d’une violence inouïe.
Rappel des faits: il y a quelques semaines, ledit Johnson avait tout bonnement “suspendu“ le Parlement pour une durée de cinq semaines, le temps de passer en force dans son ambition de quitter l’Union européenne le 31 octobre prochain. Techniquement, le Parlement est suspendu chaque année pendant quelques jours, le temps pour le gouvernement de préparer le “discours de la Reine“ où celle-ci lit un texte écrit par le Premier ministre et détaillant le programme qu’il compte appliquer pendant l'année qui vient.
Lady Hale a affirmé clairement que passer d’une suspension technique de quelques jours à une suspension “politique“ de plusieurs semaines était un coup de force illégal, nul et non avenu. L’effet de la décision de Lady Hale et de ses dix collègues de la Cour suprême est que le Parlement peut immédiatement se réunir pour faire de nouveau son travail: contrôler le gouvernement.
D’autre part, Boris Johnson ayant demandé l’assentiment de la Reine à la suspension illégale du Parlement, le jugement de Lady Hale implique qu’il a trompé le monarque, ce qui constitue un crime de haute trahison. On sait qu’il n’y a pas au Royaume-Uni de Constitution écrite: ce qu’on appelle là-bas “la Constitution“ est l’ensemble quasi-infini de toutes les décisions (“Acts of Parliament“) prises au cours du temps par les députés, fût-ce il y a trois siècles… S’il y a un “Act of Parliament“ qui prévoit la pendaison pour crime de haute trahison, on ne donne pas cher de la peau de l’ours… pardon, de Boris.
Cela fait plus de trois ans que le feuilleton du Brexit dure et on a parfois du mal à en suivre tous les méandres. Et puis, il y a des moments de grâce comme celui que j’ai vécu hier en direct devant ma télévision. Les commentateurs de la BBC étaient au comble de l’excitation. Dieu qu’elle est belle, la démocratie en action, surtout quand elle s’incarne dans le corps frêle d’une charmante vieille dame qui ne se laisse pas impressionner par les rodomontades d’un apprenti dictateur.