Ces Rifains qui réussissent

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ChroniqueLe talentueux Marcouch vient d’être nommé maire d’une grande ville des Pays-Bas. Quand je pense à ce qui se passe aujourd’hui dans le Rif, j’en viens presque à regretter que des gars de sa trempe aient émigré dans les années 70.

Le 19/07/2017 à 10h56

Et de deux! Alors que les Turcs, les Indonésiens ou les Antillais, pourtant aussi nombreux que les Marocains aux Pays-Bas, attendent encore de compter dans leurs rangs des hommes politiques de premier plan, les Marocains ont leur deuxième maire après le fameux Ahmed Aboutaleb, qui dirige Rotterdam (le plus grand port du monde, tout de même, et le poumon économique du pays…). Il s’agit d’Ahmed Marcouch qui vient d’être nommé maire de la ville d’Arnhem. (Oui, c’est une curiosité locale, ici les maires ne sont pas élus mais nommés par le Roi, après consultation des partis politiques.)

J’ai rencontré Marcouch pour la première fois il y a une bonne dizaine d'années lors de la visite à Amsterdam d’une délégation d’universitaires américains dont j’étais le poisson-pilote. Il présidait alors le conseil municipal de Slotervaart, un quartier dont le tiers des habitants sont originaires du Maroc. Il m’avait impressionné par son calme, sa connaissance des dossiers et l’air d'autorité bienveillante qu’il dégageait. Pendant le pot d’accueil, nous n’avions pas été longs à nous découvrir des aïeux communs (mettez deux Marocains ensemble dans un environnement favorable, ils se trouveront forcement un ancêtre à partager, avec les petits fours).

Comme dans le cas d’Aboutaleb, ce qui frappe dans le cas de Marcouch, c’est la volonté farouche de "s'en tirer", de travailler dur pour réussir dans les circonstances les plus défavorables. Qu’on en juge: né du côté de Nador, plus précisément à Beni Boughafer (ce qui n’est pas le meilleur départ dans la vie, on en conviendra), orphelin de mère à trois ans (ça s’aggrave), notre bonhomme fréquente le m’sid puis l’école primaire locale avant de suivre son père émigré et de débarquer à dix ans, en 1979, dans ces lointains et froids Pays-Bas dont il ne parle évidemment pas la langue. A l'école du quartier (coup de chance, c’est une école du type Montessori où l’on accorde beaucoup d’importance à la créativité et au développement personnel), il apprend le néerlandais en deux ans, s’accroche puis fait des études genre IUT. Après avoir travaillé comme agent technique dans une maison de retraite, il réussit à entrer dans la police (eh oui..) où il reste une dizaine d’années jusqu'à atteindre le grade de brigadier.

L’important est ceci: même pendant ces années-là, il ne cesse de lire, d’apprendre, de prendre des cours du soir couronnés par un diplôme qui lui permettra de devenir enseignant. C’est ensuite l’entrée en politique, au parti socialiste PvDA, et l’ascension, après un détour par la Chambre des députés, jusqu’au poste prestigieux qu’il occupe depuis cette semaine.

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La nomination de Marcouch a provoqué des réactions diverses. Les partis de gauche, de droite ou du centre qui sont représentés au conseil communal d’Arnhem s’en sont réjouis mais l'extrême-droite a immédiatement organisé une manifestation pour protester contre ce qu’elle appelle l’islamisation d’une des villes les plus importantes du pays. (Si vous avez vu le fameux film Un pont trop loin, c’est là que cette bataille décisive pour la seconde guerre mondiale se déroule…) Ces benêts un peu racistes semblent oublier une chose: quand Marcouch devint le patron de Slotervaart, en 2006, ce quartier était le plus mal famé des Pays-Bas, la police n’y entrait pas, les gangs y faisaient la loi, la pire école du pays (en termes de résultats scolaires) s’y trouvait, la drogue et les allocations sociales constituaient l’essentiel des revenus. En moins de quatre ans, Marcouch et son équipe réussirent à résoudre la plupart de ces problèmes. C’est qu’Ahmed le "flic" n’avait pas peur des voyous dont il parlait toutes les langues –au choix: tarifit, darija, arabe littéraire en cas de besoin (pour citer le Coran…), néerlandais, sans oublier quelques rudiments de turc…

En d’autres termes, il y a ceux qui protestent et qui dénoncent mais ne font rien (je vise ici l'extrême-droite néerlandaise), et il y a ceux qui parlent peu mais qui agissent. Ahmed Marcouch est de ceux-là. Quand je pense à ce qui se passe aujourd’hui dans le Rif, et qui constitue une équation terriblement compliquée, quasiment impossible à résoudre, j’en viens presque à regretter que des gars comme Aboutaleb ou Marcouch aient émigré dans les années 70, encore enfants. C'est de gens de leur trempe dont on aurait besoin aujourd’hui.

Vous me direz peut-être que s’ils n’avaient pas quitté leur région natale, ils seraient restés de parfaits inconnus et n’auraient rien fait de leur vie car ils n’y auraient pas trouvé les opportunités que l’Europe leur a offertes. C’est possible. Mais, dans un cas comme dans l’autre, se réjouir des succès des Rifains aux Pays-Bas revient à déplorer, comme en miroir, le gâchis du capital humain qui sommeille dans le Nord du Maroc et qui n’arrive pas à s’épanouir.

Par Fouad Laroui
Le 19/07/2017 à 10h56