C’est un petit homme frêle, au regard vif, à l’air espiègle, qui a largement l’âge de la retraite. On pourrait dire qu’il a des loisirs mais ce n’est pas vraiment le cas, on verra pourquoi. Ed – c’est son prénom – apprend par une de ses amies que la ville d’Amsterdam a installé dans un immeuble de bureaux désaffecté quelques centaines de demandeurs d’asile syriens. Et l’amie d’Ed – appelons la Annemieke – ajoute que ces hommes sont assez désemparés. Elle le sait, elle est allée leur rendre visite avec quelques cartons de vêtements donnés par les habitants du quartier. Annemieke explique que, n’ayant pas le droit de travailler en attendant que leur demande d’asile soit examinée, forcés à l’oisiveté, les Syriens passent leurs journées à aller et venir dans l’immeuble, à bavarder, à essayer d’appeler leur famille en Syrie ou en Turquie, etc.
Ed a une idée. Il possède plusieurs instruments de musique, dont deux très beaux pianos. Il appelle des déménageurs et va en installer un dans l’immeuble où se trouvent les réfugiés. L’administration renâcle un peu – vous les connaissez, les bureaucrates, ils détestent les initiatives privées… - mais Ed insiste. Et voilà le piano au milieu d’une grande pièce qui sert de salle de réunion. Quelques réfugiés s’approchent, intrigués, tapotent quelques touches, caressent le beau bois laqué, admirent les belles courbes de l’objet.
- Je reviens vendredi prochain à 16.00, annonce Ed.
Il tiendra sa promesse. Le jour dit, Ed arrive, s’installe au piano et joue quelques chefs d’œuvres de Chopin, Liszt et Mozart. Les réfugiés lui font une ovation. Il salue et s’en va. Et ça devient une habitude. Tous les vendredi à 16h00, Ed vient jouer devant les demandeurs d’asile. Son public (fidèle, forcément fidèle…) commence à bien connaître Bach et Schubert, et on lui demande parfois de bisser. Ce qu’il fait sans hésitation.
Cette histoire constitue, en elle-même, un bel exemple d’humanité. Des gens comme Ed nous redonnent espoir dans ce monde dur et cruel qui est le nôtre. Mais le plus étonnant, c’est que Ed n’est pas seulement un amateur de musique, c’est l’un des chefs d’orchestre les plus en vue du pays (c’est lui qui a dirigé, en 2002, le concert officiel du mariage du roi des Pays-Bas, Willem-Alexander) et c’est aussi l’un des meilleurs pianistes européens, invité dans le monde entier pour y donner des récitals dont les billets d’entrée coûtent la peau du dos. (Vérifiez, googlez : Ed Spanjaard). Et c’est cet homme-là qui joue anonymement, gratuitement, tous les vendredis, pour les réfugiés syriens…
Un seul mot (ou plutôt deux) : bravo l’artiste !