Entretien surréaliste à Carbis Bay, en marge du G7, entre Boris Johnson et Emmanuel Macron.
La saucisse s’impose alors au menu, choisie comme parabole charcutière, en rapport à l’application de l’accord du Brexit, afin d’illustrer la rigidité des règles de l’UE et les problèmes posés par l'entrée en vigueur des contrôles en mer d'Irlande sur certaines marchandises, notamment la viande réfrigérée, perturbant les échanges entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.
- A Toulouse, il y a des saucisses, non? demande le chef du gouvernement britannique. Eh bien, c'est comme si les saucisses ne pouvaient plus être vendues sur les marchés parisiens.
Ce à quoi le président français a répondu en substance, qu'il n'était pas convenable de comparer des situations qui n'étaient pas comparables car Toulouse faisait partie du même pays (ou «territoire», tient-on à rectifier, chaque mot ayant un sens).
Visiblement, les pieds dans le plat! Car il n’en fallut pas plus à Boris Johnson pour sentir monter la moutarde, répondant qu'il en allait de même pour l'Irlande du Nord et assimilant ce recadrage à un mépris pour la souveraineté britannique.
Emmanuel Macron a bien tenté de désamorcer la crise à la fin du G7, en rappelant face à la presse que la France ne s'est jamais permise de remettre cette question en cause. On marche sur des œufs, là…
Qu’importe! Les médias outre-Manche s’étaient déjà emparé de la polémique, dans un satirique pronostic, nommé «Sausage war» ou Guerre de la saucisse.
De son côté, le secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Dominic Raab, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il a critiqué ainsi les «très hauts responsables de l'UE qui parlent de l'Irlande du Nord comme si c'était un pays distinct du Royaume-Uni. Ce n'est pas seulement insultant, cela a des effets concrets sur les communautés».
«Vous vous imaginez ce que se passerait si on parlait de la Catalogne, de la partie flamande de la Belgique, d'un Land allemand, de l'Italie du Nord, de la Corse pour la France comme de pays différents? Il faut un peu de respect!».
Et l’on en arrive au cœur de notre sujet: au-delà des divergences entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, du caractère économique sur fond de Brexit, figure l’aspect éminemment politique.
Constat principal: l’acharnement avec lequel les pays du Nord, de manière générale, veillent à la défense de leur souveraineté mais paradoxalement, sans prendre toujours en considération et à l’unanimité, l’intégrité territoriale et économique des autres. Le Sud compterait-il pour du beurre?
Derrière des allures de respect de la légalité et des résolutions des instances internationales se cachent parfois des imbroglios juridiques, qui ressemblent à s’y méprendre à du noyage de poisson, exécuté par ceux-là même qui portent la responsabilité historique de la désintégration du territoire.
Alors que l’Europe a réussi, cahin-caha, la mise en place d’une Communauté commune, en dépit des différences linguistiques, ethniques, culturelles et en dépit des guerres historiques centenaires; alors qu’elle forme sur le plan juridique une personne morale, à quoi riment certains tripatouillages et blocages qui donnent l’impression de se complaire dans les velléités de fractionnement et de saucissonnage?
Il fut un temps où les politiques impérialistes et coloniales divisaient pour mieux régner, mais cette stratégie n’est plus viable dans ce village global où un conflit régional aurait immanquablement, chez eux aussi, des répercussions non maîtrisables, ne serait-ce que sur le plan des flux migratoires ou en rapport à la composante démographique bigarrée qui importerait le problème.
Sans être forcément impliqués en politique, d’autres groupes, citoyens et intellectuels, emportés par des idéaux divers, montrent quelquefois un certain soutien aux allures romantiques à tous les mouvements indépendantistes, confondant leur combat et parcours et assimilant leur condition à celle d’opprimés systématiques face à une puissance souveraine.
Or, il est important de préciser que chaque cas est un cas à part. Juste deux exemples pour illustrer: la Catalogne, avec ses spécificités linguistiques, institutionnelles, juridictionnelles, a formé un Etat à l’époque moderne et au Moyen Age déjà, sous l’égide du parlement catalan, créé au XIIe siècle par l'union des comtés catalans dont le souverain est Alphonse d'Aragon, comte de Barcelone.
La Bavière, deuxième land le plus riche d'Allemagne, majoritairement catholique dans un pays protestant, doté d'une Constitution propre en 1946, a formé depuis la période franque en 1180, une entité politique, représentée par la Maison de Wittelsbach avec des souverains régnant jusqu'en 1918, en une histoire davantage marquée comme duché indépendant qu’Etat fédéré.
Pour le cas du Sahara, quelqu’un a-t-il lu ou entendu parler quelque part, à travers les siècles, de l’existence d’un Etat Sahraoui, d’une monnaie sahraouie, d’un drapeau, d’une armée, de toute chose qui rappelle la caractéristique d’un Etat, alors que tous les attributs de souveraineté sont ceux du Royaume du Maroc le long de l’histoire?
Les Sahraouis échappent à toute tentative de cloisonnement et marquent fortement de leurs empreintes de nomades, d’autres régions. Mais si on veut pousser la logique illogique de fragmentation jusqu’au bout, alors il faudrait que le «peuple sahraoui» algérien réclame son indépendance, de même que le «peuple sahraoui» tunisien, et bien entendu le «peuple sahraoui» libyen… (!)
Ou alors, revenons à l’âge des tribus et créons des entités politiques par ethnies, ou par géographie tant qu’à faire! Si peuple sahraoui il y a, il devrait occuper l’étendue du Sahara et non se concentrer au sud du Maroc, correspondant dans les faits à des manipulations du droit à l’autodétermination et à l’exacerbation de pseudo-nationalisme étriqué, salivant sur un mini-Etat artificiel au service d’agitateurs cupides et haineux.
Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, il faut donner l’exemple par la confection d’une gigantesque macédoine formée de républiques indépendantes, catalane, corse, basque, bretonne, lombarde, bavaroise, flamande, tzigane, occitane, savoyarde…
Soyons sérieux! On ne peut soutenir les poussées sécessionnistes chez les uns sans risquer de provoquer un effet domino général avec la remise en cause du principe d’Etat-nation qui donnerait, rien que dans l’Union européenne, près d’une centaine d’Etats. On ne peut pas aspirer à la cohésion pour les siens, pansant les traumatismes des fragilités internes, et favoriser l’éclatement et le tribalisme chez les autres, illustré par un mouvement douteux sans la moindre assise populaire. On ne peut pas encourager le fédéralisme pour soi et le séparatisme le plus sectaire pour les autres, servant paradoxalement des intérêts hégémoniques, dont les peuples sont, encore et toujours, les dindons de la farce.