Dans la décennie 1950, l'Afrique était autosuffisante. Aujourd’hui, elle n’est plus en mesure de produire de quoi nourrir son 1,4 milliard d’habitants. En 2021, 280 millions d’Africains étaient ainsi sous-alimentés, 44% en Afrique de l’Est, 27% en Afrique de l’Ouest, 20% en Afrique centrale et 6,2% en Afrique du Nord, cependant que 452 millions étaient «en situation d’insécurité alimentaire modérée»1.
Depuis les années 1960, deux grandes zones connaissent des famines répétitives, le Sahel et la Corne. En 2022, cette dernière qui est dévastée par les invasions acridiennes et la guerre (Tigré, Soudan, Somalie), subit sa troisième année consécutive de déficit hydrique. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), plus de 25 millions de personnes y seront en situation de famine dans les prochaines semaines.
En Afrique australe, plusieurs pays, à savoir le Lesotho, le Mozambique, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe sont continuellement en situation de sous-alimentation et de grave disette. Cependant, si la catastrophe ne s’y est pas encore produite, c’est uniquement parce que l'équilibre alimentaire de tout le cône sud du continent repose sur les fermiers blancs sud-africains menacés de spoliation…
En Afrique, selon l’indicateur de la FAO, les prix alimentaires ont augmenté de 27% sur la seule année 2021. Comment l’Afrique en est-elle arrivée là alors que, depuis un demi-siècle, les productions agricoles y ont progressé de plus de 45%? Certes, mais ce résultat remarquable a été gommé parce que, dans le même temps, la population africaine augmenta quant à elle, de plus de 110%. Une situation de grand écart devenue intenable. Résultat, l’Afrique sud-saharienne doit importer 1/3 des céréales qu’elle consomme et l’Afrique du Nord plus de 50%.
Or, avec la guerre Russie-Ukraine, la tonne de blé a atteint 400 euros au début du mois de mars 2022 –contre 283 au mois de novembre 2021–, pour redescendre à 365 euros début avril. Dans ces conditions, les pays africains qui ne disposent pas de la manne pétrolière risquent donc de connaître des situations révolutionnaires d’une ampleur encore plus forte que les émeutes de la faim des années 2007-2008.
Les chiffres sont en effet tragiquement éloquents:-l’Afrique du Nord consomme annuellement environ 48 millions de tonnes de blé dont 30 millions de tonnes sont importées.-A elle seule, l’Egypte qui en consomme près de 22 mt en importe 13 mt, dont 50% depuis la Russie et 30% depuis l’Ukraine.-Sur les 11 mt qu’elle consomme, l’Algérie en importe près de 8 mt.-Le Maroc qui consomme 10 mt de blé par an a connu une récolte record en 2021, ce qui lui permettra de n’importer que moins de 5 mt en 2022, mais, le déficit en pluie de l’hiver 2021-2022 va pénaliser la moisson 2022.-Au sud du Sahara, le plus gros importateur de blé est le Nigeria qui en achète plus de 5 mt.
Le blé, matière première agricole permettant de fabriquer la semoule, les pâtes alimentaires et tous les produits de boulangerie, tient une part importante dans l’alimentation des Africains, traditionnellement en Afrique du Nord et plus récemment au sud du Sahara avec l’introduction de nouveaux modes alimentaires. Or, six millions de tonnes de blé et 9 millions de tonnes de maïs à destination de l’Afrique, sont actuellement bloquées dans les ports ukrainiens. Quant à la moisson ukrainienne de 2022, la voilà compromise et, de plus, certains pays ont pris des mesures protectionnistes, comme la Hongrie qui a interdit toutes les exportations de céréales.
D’autres pays sont au contraire disposés à augmenter leurs exportations. Ainsi la France qui compte mettre en vente entre 1 et 1,5 million de tonnes de plus. Mais il s’agit là d’un volume symbolique puisqu’il ne représente que 15% de ce que l’Ukraine produisait avant la guerre. Certains parlent d’une augmentation des surfaces cultivées au sein de l’UE, soit 4% de terres en jachère qui pourraient être semées. Dans tous les cas, pour cette année, cela ne pourrait se faire qu’en maïs puisque, pour le blé, il est déjà trop tard.
Quant à développer la culture du blé au sud du Sahara, cela ne serait possible que dans des régions de forte altitude, le blé n’étant pas une plante tropicale. Or, les régions africaines d’altitude sont surpeuplées et l’on voit mal comment, en dehors de cas particuliers, il serait possible d’y développer ou d’y introduire la culture du blé autrement que d’une manière marginale. Reste alors le maïs, mais gros consommateur d’eau, sa culture se heurte aux problèmes hydriques aigus que connaît l’Afrique.
____________________ 1Aperçu régional de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Statistiques et tendances pour l’année 2021. ONU, Accra, 2021.