Hassan II, comme chacun sait, s'intéressait de très près au théâtre (lire ma précédente chronique traitant des rapports privilégiés qu'il entretenait avec Tayeb Saddiki). Surtout, il se passionnait pour la chanson: arabe en général (Oum Kalthoum comme Abdelhalim Hafez furent royalement reçus par lui), marocaine en particulier.
Entre la fin des années 1960 et des années 1980, toutes les vedettes nationales de la chanson -y compris les Nass Al Ghiwane, réputés opposants au système- ont été régulièrement invités à se produire au sein du Palais, dans le cadre de soirées privées -grassement rémunérées, si l'on en croit les nombreux témoignages.
Mieux: à chaque difficulté de la vie rencontrée, lesdits artistes étaient assurés de trouver promptement aide et soutien auprès du cabinet royal. Là encore, les témoignages sont légion. Pour l'anecdote, il se murmure que Hassan II avait une tendresse particulière pour le très discret Mohamed Al Hyani.
Rien de tel en ce qui concerne la communauté des plasticiens marocains de la période postindépendance -période pourtant ô combien étonnamment riche en éclosion de talents.
"Nous n'étions ni aidés ni empêchés dans notre travail", m'avait confié, à ce sujet, Farid Belkahia, lors d'une longue interview qu'il m'avait accordée à la fin des annéees 1990. Et de conclure : "l'État nous foutait une paix royale et, avec le recul, ce n'était pas plus mal."
Pourtant, il y eut une exception. Dès son retour en grâce -il était quand même le fils du Pacha félon-, et sa réinstallation au Maroc, en 1964, après un long exil parisien, Hassan El Glaoui est informellement intronisé peintre de cour. Dorénavant, il fournira, longtemps et abondamment, le Palais.
Question: mais pourquoi donc, Hassan II s'entiche-t-il de la production -prolifique- de cet artiste peintre-là, à l'exception de tout autre? Au point d'offrir, systématiquement, une de ses œuvres à chacun de ses hôtes de marque!
La réponse coule de source. En peignant -avec une maestria infinie- ces innombrables scènes de fantasias et autres "sorties du Sultan", Hassan El Glaoui flattait, fort judicieusement, la vision hassannienne d'un Maroc immémorial, à la grâce chevaleresque et aristocratique -un Maroc lyauteyiste, dirais-je-, reposant sur une réalité historique certes, mais en voie rapide de disparition, qu'il fallait fixer pour la postérité.
Parlons peinture stricto sensu: Hassan El Glaoui est l'héritier d'un Delacroix -pour les sujets (la "sortie du Sultan et autres cavalcades"), mais surtout, l'héritier de Raoul Duffy pour le traitement. À savoir, cette ineffable légèreté du trait, ce pouvoir, quasi sorcier, de rendre palpable, complètement charnelle et incarnée la simple esquisse d'une silhouette de cavalier.
On croit sentir l'odeur du crottin de cheval, de la poussière sous le soleil et de la poudre à fusil. 
Longtemps Hassan El Glaoui a été ignoré de ses congénères plasticiens marocains. Trop éloigné idéologiquement et esthétiquement des préoccupations de la "jeune garde".
Son caractère personnel, oscillant entre une extrême réserve et une morgue certaine, n'aidait pas. Pourtant, il n'a jamais été nommément combattu. C'est que ladite jeune garde se rendait bien compte de la qualité intrinsèque de sa peinture.
Aujourd'hui, plus personne ne remet en question le fait que Hassan El Glaoui (décédé l'été dernier) est le meilleur peintre figuratif de l'histoire de l'art marocain.
L'exposition-hommage ( jusqu'au 31 août) que consacre, aujourd'hui, à son œuvre le MMVI est plus que justifiée: nécessaire.
P-S: Si l'on excepte la parenthèse romantique, circonscrite entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles, l'histoire de l'art n'est qu'une longue succession de génies ayant mis leur talent au service du Prince: de Raphaël pour les Médicis à David pour Napoléon...