Chez les peuples primitifs, ce sang est dangereux pour les hommes, l’agriculture, les animaux, l’eau… Ils isolaient les femmes loin des champs, les enfumaient pour chasser les démons.
Pour le Judaïsme, Eve a fait chasser Adam du paradis. Les menstruations, et les douleurs sont une punition pour chaque femme.
La nidda (menstruée) porte un signe rouge pour avertir les hommes. S’ils la touchent ou mangent ses plats, ils sont souillés et s’éloignent de Dieu.
Le judaïsme interdit la sexualité 14 jours après le premier jour de règles et 40 jours après l’accouchement. La nidda se purifie dans un mikvé: un bassin d’eau de pluie, creusé dans la terre. Les femmes juives qui respectent ce rituel se rasent entièrement, car les cheveux et les poils empêchent l’eau de purifier la peau. Elles portent des perruques.
Le christianisme ne parle pas de souillure. Mais la femme doit se soumettre au mari car elle a poussé Adam à transgresser. Mais l’Eglise, influencée par le judaïsme, a considéré, jusqu’au XIXe siècle, que le sang est souillant. 40 jours après l’accouchement, la femme n’allait plus à l’église. Après 40 jours, elle passe par les relevailles, rituel de purification dans l’église.
En islam, Adam et Eve sont tous deux responsables. Il n’y a pas de souillure. Mais la femme ne doit pas prier, jeûner, entrer dans une mosquée, à moins qu’elle soit en danger.
Le Coran interdit la copulation lors des règles. Selon Aïcha, épouse du Prophète, lors de ses menstrues, le Prophète mettait un linge sur son vagin et jouissait avec elle (Boukhari). Pas de souillure. Les traditions imposent l’abstinence sexuelle 40 jours après l’accouchement.
Les règles sont très attendues chez la fille, preuve de fécondité. Les règles arrivaient alors que la fillette était déjà mariée, ignorant tout de la puberté.
Aujourd’hui, beaucoup de filles célibataires ignorent leur cycle menstruel. Si elles tombent enceintes, c’est après quatre mois en moyenne qu’elles s’en aperçoivent! *
La pubère recevait des soins par les femmes. Il y avait taqf, rare aujourd’hui, pour blinder l’hymen. Exemple: on fait passer la fillette trois fois par un métier à tisser (al manejaje), en répétant «notre fille est un mur et l’homme est un fil».
On place un grand bol sur chaque sein pour avoir une grosse poitrine. Elle lave son visage avec du lait pour éviter l’acné, s’assoie dans un grand plat en osier (tbaque) pour avoir de grosses fesses…»
Elle est maquillée et présentée aux femmes invitées pour les informer qu’elle est prête au mariage. Aujourd’hui, ces rituels disparaissent.
La relation de la pubère avec son corps dépend de la manière avec laquelle la société perçoit le sang.
Enfant, elle entend les femmes dires ikh, tfou, jatni alwila, jatni assag’a (maudite), azzamra (merde), el ham (souci), la’douwa (ennemie), fia addam… Elles utilisent un langage codé entre elles : jatni khalti (ma tante est venue), jatni jarti (voisine), jawni addiafe (invités). Elles ajoutent hachake (sauf ton respect). Les plus neutres disent: fya les règles.
Les hommes, enfants, entendent les femmes se plaindre de leurs règles, plus tard les épouses. Ils sont écœurés, surtout qu’ils sont frustrés sexuellement.
Les hommes disent: «ikh! Encore», «tfou!» «Elle est noyée dans le sang», «ses robinets sans cassés», «elle ruisselle (tatcharchare)» «gourna (abattoirs)» «khouke gazzare (boucher)» «sale», «trouée»…
Si les jeunes s’assument mieux, le dégoût et la discrétion totale perdurent. Pendant ramadan, les femmes mangent en cachette des hommes; dans les toilettes quand elles travaillent!
Si on les surprend, on dit: Allah y msakh ha! Elle n’a pas honte?». Mais après ramadan, quand elles jeûnent pour restituer les journées non jeûnées, elles en parlent sans gêne!
Les femmes utilisaient des torchons lavables (acharwitha, lgadware, azzife). Selon les croyances, Dieu maudit la femme dont les torchons sont vus par des hommes. Dieu les lui fera avaler.
Les serviettes hygiéniques ont soulagé les femmes. Mais la phobie de la tache de rouge sur les habits continue. Parce que le sang sort du vagin, il est honteux!
La serviette hygiénique fut inventée en 1920. Elle était lavable. Jetable dans les années 60, elle a libéré les femmes.
Au Maroc, les femmes l’ont adopté dans les années 80.
La première marque, Fems, a donné son nom à toutes les serviettes, en arabe. A ce jour, il est gênant de demander Fems à l’épicier. Le paquet est emballé dans du papier journal. Dans les supermarchés, les femmes le cachent sous les provisions!
La publicité des serviettes hygiéniques à la télévision, dans les années 80, a scandalisé les familles, dont les membres étaient, et le sont encore, très gênés. Ali, 27 ans: «en plus il te passe la pub pendant que tu manges pour te couper l’appétit!».
Mais les serviettes hygiéniques sont couteuses: 80 DH en moyenne par mois. Seules 30% des Marocaines en utilisent contre 80% des Algériennes, 85% des Tunisiennes. Les autres utilisent du papier journal, du plastique…
Dans les établissements scolaires, impossible de se changer: pas de toilettes ou pas d’eau ni savon ni poubelles. Les portes des toilettes ne ferment pas. L’hygiène y est désastreuse. Ce qui contribue à l’absentéisme scolaire.
Il existe des culotes de règles réutilisables, qui protègent pendant 12 heures, sans serviettes, confortables et non polluantes. Mais elles coûtent près de 200 DH la pièce.
On parle aujourd’hui de précarité menstruelle qui concerne les femmes qui manquent de moyens pour vivre leurs menstruations sans gêne.
A cause des menstruations, les femmes ont été exclues du champ religieux, ainsi que des responsabilités car on considérait qu’elles sont souillantes et qu’elles perdaient la raison lors des menstruations!
Les stéréotypes sont tenaces. Le tabou du sang de la honte persiste. Pourtant, c’est un sang comme celui de tout le corps. Pourtant il révèle la santé de la femme. Pourtant assure la continuité de la race humaine puisqu’il est lié à la procréation! A réfléchir!
*(Grossesses de la honte, éditions Afrique Orient, Soumaya NAAMANE GUESSOUS et Dr Chakib GUESSOUS).