Nous sommes tous en liberté provisoire

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ChroniqueL’amour? Connait pas. Tout est débauche et prostitution. La loi marocaine peut jeter en prison un couple qui s’aime dans l’intimité d’un appartement. Elle peut aussi jeter en prison le propriétaire ou le locataire des lieux, voire la femme de ménage ou le gardien/concierge.

Le 21/09/2019 à 14h40

L’affaire de Hajar est un livre ouvert sur le Maroc. La jeune femme, jetée en prison pour avoir aimé et peut-être avorté, n’est pas la seule victime. Il y a aussi son compagnon, un non-Marocain, jeté en prison pour «complicité». Et il y a un médecin reconnu, compétent, qui est lui aussi en prison avec ses assistants et même sa secrétaire!

Au Maroc, plusieurs centaines d’avortements sont pratiqués chaque jour. Ça veut dire que les femmes qui les subissent, leurs compagnons, les amies qui les accompagnent dans leur calvaire, les médecins qui pratiquent ces actes, les anesthésistes, les infirmiers et les secrétaires, bref tout ce monde qui se monte à quelques milliers de personnes doit quotidiennement se retrouver en prison.

Sans parler de tous ces Marocains qui s’aiment quotidiennement sans être «protégés» par un acte de mariage. Il n’y a pas de chiffres pour sonder cette question. Mais je vous laisse imaginer le nombre de personnes qui peuvent, tous les jours, à n’importe quel moment, se retrouver en prison pour avoir aimé.

L’amour? Connait pas. Tout est débauche et prostitution. La loi marocaine peut jeter en prison un couple qui s’aime dans l’intimité d’un appartement. Elle peut aussi jeter en prison le propriétaire ou le locataire des lieux, voire la femme de ménage ou le gardien/concierge.

C’est fou!

Si on s’en tient au Code pénal marocain, une partie du royaume doit se retrouver en prison. Seule une minorité malchanceuse finit effectivement en prison et paie pour les autres. En totale conformité, bien sûr, avec un code pénal moyenâgeux.

La grande majorité des Marocains vit, donc, avec une épée de Damoclès sur la tête. Tous et toutes, ou presque, nous avons enfreint cette loi qui nous interdit de nous aimer et de disposer librement de nos corps. Nous l’avons fait et continuons de le faire malgré la menace.

Des médecins, des infirmiers (et des secrétaires!) continuent à leur tour de risquer leur liberté pour nous éviter de gonfler les rangs des enfants nés sous X, abandonnés dans les rues. Là aussi, la loi marocaine, totalement stupide et injuste, refuse de voir dans ces «Ben X» autre chose que les «produits du haram». Elle les stigmatisera toute leur vie durant. Elle leur refusera de porter le nom de leurs parents d’adoption (quand ils en trouvent), leur refusera le droit d’hériter de ces parents, etc.

Cet arsenal de lois stupides définit à lui seul notre rapport à la modernité. Un rapport malade. Nous vivons pleinement notre modernité, nous aimons, nous disposons librement de nos corps, nous intériorisons la menace qui pèse sur nos têtes et nous prions pour continuer d’échapper à ces lois scélérates…

C’est le principe même de l’hypocrisie sociale, voire de la schizophrénie. Celui qui tombe paie. Les autres ferment les yeux et les oreilles.

Par Karim Boukhari
Le 21/09/2019 à 14h40