L’espoir continue

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ChroniqueBien sûr, la révolution n’a pas eu lieu. Rien n’a changé. Mais c’est Hassan qui a changé.

Le 02/03/2019 à 17h02

J’ai vu récemment un ami qui était de passage à Casablanca. Il vit depuis quelques années maintenant en France. Ça lui va bien. Je ne vais pas citer son nom parce que je n’ai pas demandé sa permission. Soyez patients, mes amis, vous allez comprendre pourquoi.

Cet ami m’est cher, très cher. Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée. La première fois que je l’ai vu, j’ai tout de suite compris que je le connaissais depuis longtemps. Ce qui n’était pas vrai, évidemment.

Il y a des personnes comme ça, qui ressemblent à des évidences. On a l’impression de les avoir toujours connues alors que, quelques secondes avant, on ignorait jusqu’à leur existence.

On va l’appeler Hassan. J’ai connu Hassan en 2011, avec le mouvement du 20 février, le M20 comme on disait, dont il était l’un des leaders à Casablanca. Hassan est un enfant des quartiers populaires de Casablanca. Il se cherchait. Il s’est un peu islamisé. Il a fait cela comme on prend le premier bus qui passe, sans réfléchir. Il était jeune, très jeune. Le printemps arabe a été sa chance.

Ça l’a grandi d’un coup, il a laissé tomber l’islamisme étriqué vers lequel il se dirigeait tête baissée, il est sorti dans la rue, il est sorti de sa coquille surtout. Et, comme beaucoup d’autres à cette époque, il s’est mis à espérer et à rêver.

Bien sûr, la révolution n’a pas eu lieu. Rien n’a changé. Mais c’est Hassan qui a changé.

Hassan, enfant du peuple, plein d’espoir, bel homme, devait «finir» au mieux islamiste avec un dinar au milieu du front comme marque de piété. Licence en quelque chose, probablement en études islamiques, et carte fidélité au PJD ou Al Adl Wal Ihsane. Un militant sincère, encore un, mais incapable d’aimer, de s’attendrir, quelqu’un qui peut rêver, qui doit rêver, mais qui se retient de rêver. Parce que haram peut-être. Ou hchouma, pas digne d’un homme sérieux et responsable, carré comme une table. Ou parce qu’il ne connait pas et il ne sait ce que aimer une femme, complètement et follement, peut lui apporter. Son éducation ne lui permet pas. Son «engagement» lui interdit ces «futilités».

Aimer, c’est la dernière chose à faire. Croit-il.

Le printemps arabe a changé Hassan. Il lui a appris à aimer. C’est énorme. Il a réveillé son cœur et il a réveillé l’individu en lui.

Une nouvelle vie pouvait commencer pour cet individu qui s’est arraché à sa communauté. Il est parti en France. Etudes de sociologie. Un autre monde, avec beaucoup d’amour. De nouveaux repères pour naviguer au milieu de la «ghorba» et du mal du pays.

Puis Hassan a disparu. Un an sans laisser de traces, rien, aucune nouvelle, le silence. Quand il réapparait, c’est un homme nouveau, différent, pâle, maigre, affaibli. Parce la maladie, une maladie grave qu’il a combattue en silence, loin de la famille et des amis, sans témoin du passé.

C’est cet homme que j’ai revu. Un homme éprouvé et presque vieilli. Un homme dans le dur, dans le combat. Un autre combat. Celui qui consiste à vérifier si toutes les cellules de son corps sont encore en vie. Elles le sont. Hassan réapprend tout, même à marcher sans s’étourdir et tomber. Comme un bébé. Mais un bébé qui ne pleure pas mais sourit tout le temps, plein d’humanité et de bonté.

Je suis certain qu’en ce moment même, dans un lit ou autour d’une table, avec d’autres amis, ou seul, Hassan doit suivre les évènements d’Algérie, avec tous ces milliers de gens dans les rues.

Ses yeux doivent briller quand il écoutera la jeunesse algérienne reprendre en chœur l’incroyable hymne des ultras du Raja : «F’bladi dalmouni (frappé d’injustice dans mon pays)».

Souris Hassan, laisse tes yeux briller, l’espoir continue.

Par Karim Boukhari
Le 02/03/2019 à 17h02