L’écrivain et le chanteur

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ChroniqueUn ami m’a demandé: «Et toi tu as pleuré Jean ou Johnny?». Ni l’un ni l’autre. J’ai pleuré peut-être mon enfance. Ma mémoire. Mes souvenirs et ce qui va avec.

Le 09/12/2017 à 17h59

Parmi ceux qui se sont émus de la mort de Jean d’Ormesson, beaucoup n’ont pas lu un seul de ses livres (et il en a fait beaucoup). Beaucoup de ceux qui ont pleuré Johnny Hallyday (ne riez pas, mais il fut un temps où on s’amusait à l’appeler Johnny Halalay) n’ont pas écouté un seul de ses albums en entier.

Qui a jamais tenu un livre de l’écrivain sans qu’il lui tombe des mains? Qui a déjà pu écouter le chanteur jusqu’au bout, sans avoir mal à la tête, sans crier au secours?

Et pourtant tous ou presque les pleurent, les regrettent, et très sincèrement. C’est d’ailleurs cette sincérité qui est émouvante.

Un ami m’a demandé: «Et toi tu as pleuré Jean ou Johnny?». Ni l’un ni l’autre. J’ai pleuré peut-être mon enfance. Ma mémoire. Mes souvenirs et ce qui va avec.

J’ai grandi avec la télévision et la lecture des journaux. L’écrivain et le chanteur étaient omniprésents, comme deux éternels décors. Ils étaient de toutes les guerres et de toutes les saisons. Je retrouvais leurs «bouilles» partout. Ils n’avaient pas d’âge et ils représentaient quelque part la France ou l’idée que l’on se faisait de ce pays auquel tant de choses nous ont liés.

Je parle des petites choses, qui peuvent être complexes et parfois étonnantes.

Johnny était blond et avait les yeux bleus, et puis il se forçait, il s’entêtait à passer pour un Américain. Et Jean avait les idées claires et parlait comme les gens supérieurs: sans jamais élever la voix.

C’est peut-être cela qui nous fascinait le plus en eux.

Il suffisait d’allumer la télévision pour retrouver Jean d’Ormesson et sa gouaille, son art de faire la conversation en toute circonstance. Au-delà de ses bons mots, de sa culture et de sa malice, j’admirais avant tout sa petite tête d’oiseau moqueur, sa voix tranquille et assurée, sa manière de préciser, quand il parlait de quelqu’un, s’il était de droite ou de gauche.

Et Johnny? Eh bien Johnny faisait Johnny, il était en éternelle représentation, comme dans un film ou une pièce de théâtre, changeant de style, de maquillage, de compagne, etc. Il était impossible de le prendre au sérieux, même (et surtout) quand il lui arrivait d’exprimer une opinion. On l’aimait ou on ne l’aimait pas, mais on avait tous une opinion, quelque chose à dire sur son personnage ou son dernier costume.

Johnny, on l’assimilait beaucoup à Alain Delon. Dans le quartier de mon enfance, c’était comme ça. Je ne sais pas pourquoi.

Quant à d’Ormesson, l’apparition d’internet l’a fait passer, à nos yeux, pour une sorte de diseur de bonne aventure. On se précipitait sur Google pour savoir ce que ce cher Jean pensait ou disait de tous les sujets possibles et imaginables: l’infidélité, la transhumance, le tiers monde, la guerre, le capitalisme, les femmes et les hommes, etc.

Tout cela pour vous dire que, oui, j’ai été touché par la disparition de ces deux personnages qui ont meublé mon imaginaire, peut-être malgré moi. Et comme tant d’autres, je ne cautionnais pas leurs choix politiques. Et je n’ai jamais pu finir aucun de leurs livres et de leurs disques. 

Par Karim Boukhari
Le 09/12/2017 à 17h59