Le cœur à Gaza, la tête à Taza

DR

ChroniqueNous sommes devant une situation étrange où l’Etat pense à Taza, pendant que Taza pense à Gaza!

Le 15/05/2021 à 10h01

Des experts internationaux sont en train de nous expliquer que ce qui se passe actuellement en Palestine doit mettre en porte-à-faux les pays «en voie de normalisation» avec Israël. Le Maroc rentre dans cette case. Les experts ont raison, dans le sens où ces pays se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Ou, plus trivialement, le cul entre deux chaises. Une position délicate, qui tend à la schizophrénie. 

Cette schizophrénie, cette ambivalence, cette dichotomie, on les connait bien, on les connait depuis toujours, à vrai dire. L’Etat est par définition cynique, il n’a pas de cœur, ce n’est pas un être humain. L’Etat ne fait que calculer, il agit par intérêt. S’il était humain, on dirait alors que c’est un être monstrueusement cynique. Mais il n’est pas humain, il n’a pas d’émotion, il a un logiciel froid à la place du cœur, c’est une machine. Ce qui change tout.

Au Maroc, c’est cet être non humain qui a normalisé. Cet être est plus sensible à Taza qu’à Gaza, pour reprendre une expression populaire. Taza, c’est le Maroc, c’est la proximité, c’est l’intérêt immédiat, c’est la situation intérieure, celle de tous les jours, le point d’équilibre qui permet au Schmilblick d’avancer. Taza, c’est la raison et c’est forcément cynique.

Mais la rue, le peuple, pensent à Gaza. Le peuple, c’est-à-dire nous, les humains, c’est le cœur, c’est l’émotion. C’est Gaza. Nous sommes Gaza.

On se retrouve donc devant une situation étrange où l’Etat pense à Taza, pendant que Taza pense à Gaza! C’est le dilemme dont parlent aujourd’hui les experts, et que l’on retrouve dans la majorité des pays «en voie de normalisation».

Plus le problème de Gaza s’enlise, s’éternise et prend des allures dramatiques (comme ces insoutenables images de lynchage dans une rue israélienne), plus des débordements peuvent embraser la rue marocaine, entre marches, protestations et manifestations de colère… C’est là que le problème sera aussi celui de l’Etat.

C’est en ces termes que le problème se pose au Maroc, mais aussi dans les autres pays dits arabes. Tous ces pays, nos pays, sont tiraillés. La déconnection ou le décalage entre l’Etat et la rue est le même, finalement, que celui qui peut exister à l’intérieur de chacun entre sa tête et son cœur. La tête peut très bien pousser pour la normalisation, alors que le cœur bat pour Gaza.

Que faire alors? Comment sortir de cette impasse? Il faut faire en sorte que ces deux-là, la tête et le cœur, puissent trouver un compromis, et rapprocher leurs vues, sans se renier. Histoire de trouver une sorte de paix intérieure…

Si le pouvoir des images-chocs finira bien par réduire le cynisme de l’Etat, voire des Etats, il faut aussi se rappeler que la colère basique ou l’émotion aveugle n’ont jamais rendu une cause plus juste!

Par Karim Boukhari
Le 15/05/2021 à 10h01