Dérangez-nous, secouez-nous!

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ChroniqueÇa fait mal? C’est impoli, discourtois, irrespectueux? Oui, oui, oui, heureusement!

Le 28/09/2019 à 15h30

En lançant le manifeste «Hors-la-loi», Leila Slimani et Sonia Terrab ont levé un gros lièvre. Elles appellent à l’émancipation de la femme en disant «oui moi aussi… j’ai aimé, fauté, violé la loi». Elles sont et resteront hors-la-loi tant que la loi n’aura pas changé.

Diable! Nous ne sommes pas devant le schéma de ceux qui appellent de loin, passivement, classiquement, en étant propres sur eux et irréprochables, à ce que les choses changent.

Pourquoi se cacher, à quoi bon, jusqu’à quand, pourquoi avoir peur et de qui ou de quoi en fin de compte : cette société hypocrite et fataliste, qui ne croit en rien et surtout pas à l’initiative individuelle? Cette intelligentsia pantouflarde qui ne se mobilise que pour attaquer ceux qui ne flattent pas son égo ? Ces militants de la première heure, restés scotchés à la lutte des classes, et qui n’ont toujours pas compris que la liberté du corps est une question noble, prioritaire et éminemment politique, autant que le pain ou la démocratie? 

Le plus ahurissant a été de voir comment la bien-pensance a attaqué le manifeste en tirant essentiellement sur deux points : la bourgeoisie et la «binationalité». Non, non, nous disent toutes ces bonnes âmes, ces personnes sont bourgeoises et déconnectées de la réalité marocaine. Elles vivent en Europe et possèdent la double nationalité, elles sont «protégées», manipulées ou manipulatrices, rien de ce qu’elles revendiquent ne peut être crédible ni sincère. C’est des bisounours qui nous proposent, au mieux, une révolution de salon.

Que de bêtises! Et que d’injustices, que de fausses affirmations/informations: envers les initiatrices du manifeste et leurs nombreux supporters, envers les Marocains d’Europe et d’ailleurs, et tous les progressistes de ce pays ou d’Europe.

Alors oui, le Maroc a besoin de libérer ses détenus d’opinion, le Maroc doit libérer Hajar, réhabiliter les militants du Hirak.

Il doit réduire la corruption, le chômage, l’écart entre les riches et les pauvres.

Il doit généraliser et laïciser l’enseignement, moderniser ses hôpitaux et son code pénal.

Il doit envoyer une bonne partie de sa classe politique à la casse, lutter contre le fanatisme religieux.

Il doit créer des ponts, des routes.

Il doit réformer son appareil judiciaire, sa télévision publique, son administration.

Le Maroc doit lutter sérieusement contre le favoritisme, le clientélisme, le népotisme.

Le Maroc doit reconnaitre, une bonne fois pour toutes, la liberté de culte, de conscience, le droit des minorités, qu’elles soient religieuses ou sexuelles.

Le Maroc doit interdire la polygamie, le travail des enfants, le mariage des mineurs.

Le Maroc doit sévir beaucoup plus sévèrement contre la pédophilie, le viol, la violence conjugale.

Le Maroc doit instaurer l’égalité hommes – femmes en matière d’héritage.

Le Maroc doit reconnaitre tous leurs droits aux enfants adoptés ou issus d’une union dite non légale.

Et, ne l’oublions pas, ne le sous-estimons pas, le Maroc doit admettre la liberté du corps et donner à la femme tous ses droits.

Aucune société ne peut se développer en enfermant les femmes (et les hommes) dans la hchouma et la hogra.

Alors essayez d’établir une hiérarchie dans tout cela. Vous n’y arriverez pas. Toutes ces questions sont prioritaires, objectivement parlant. Et il y en a d’autres, tellement d’autres.

Tiens, et même si cela peut faire sourire certains, le Maroc doit aussi ouvrir des bibliothèques, des théâtres, des conservatoires, des musées, des écoles de cinéma et d’autres soi-disant «futilités». Parce que la solution ce n’est pas la mosquée mais l’art, la culture. La solution, ce n’est pas seulement le pain et le travail. Même en temps de crise. Parce qu’une tête vide ou fermée est bien plus dangereuse qu’un ventre creux.

Alors on commence par quelle question et qui fait quoi? Qui y va? Quand et comment? Avec quels mots, quels outils, quels soutiens, quel plan, quels adversaires potentiels à affronter et quels risques personnels à courir?

Beaucoup ne font rien et croisent les doigts.

Mais, et alors qu’on ne leur a rien demandé et au moment où l’on s’y attend le moins, voilà que certaines individualités, courageuses et généreuses, avec une énergie folle, sortent du bois et viennent nous botter l’arrière-train.

Et elles n’ont même pas l’excuse d’être pauvres ou d’avoir un demi-siècle de militantisme actif derrière elles ; non mais !

Ça fait mal ? C’est impoli, discourtois, irrespectueux? Oui, oui, et fort heureusement!

Leila, Sonia, Karima, Sanaa, Narjiss et toutes les autres, continuez de déranger notre confort personnel, notre immobilisme, nos certitudes et nos peurs surtout, vous êtes dans le vrai, ne vous arrêtez surtout pas!

Par Karim Boukhari
Le 28/09/2019 à 15h30