J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le reportage-enquête dédié par l’émission «Sept à huit» (TF1) au boom de la chirurgie esthétique au Maroc. Qu’est-ce qu’on y voit? Un chirurgien en vogue, qui semble tout droit sorti d’une série bling bling californienne. Et des femmes jeunes et ravissantes, qui donneraient tout pour renforcer leurs fesses, leurs seins, et sculpter leurs corps comme bon leur semble.
Mon premier réflexe a été: voilà exactement le genre d’émission que la télévision marocaine ne fait pas alors qu’elle devrait! Tout à fait. C’est fou ce que nous pouvons être coincés (ou/et incompétents, c’est comme vous voulez) pour juger de l’intérêt d’un sujet de société. Je dis bien «intérêt». Une plongée dans le monde de la chirurgie esthétique n’est pas seulement un sujet «commercial», donc facile et vide de sens, sans valeur ajoutée. Au contraire, cela dit beaucoup de choses et renseigne sur le Maroc «tel qu’il est», avec ses contrastes et ses réalités les plus «up to date».
Il y a mille et une choses, détails, saillies, à analyser. Et de la manière la plus sérieuse qui soit.
Ce n'est pas vulgaire mais édifiant. Ce reportage est un outil qui aidera nombreux parmi nous à comprendre dans quelle réalité complexe nous vivons aujourd'hui. Au Maroc, la chirurgie esthétique, et pas seulement réparatrice, est en plein boom. Elle n’est plus seulement l’affaire des riches mais se démocratise, se popularise. Pourquoi donc? Parce que les Marocains ressemblent à tous les citoyens du monde, ils se préoccupent de leur corps et de leur paraitre, ils s’affranchissent de certains carcans, ils recentrent leurs centres d’intérêts et leurs priorités, ils font de moins en moins attention aux autres et de plus en plus attention à eux, ils n’acceptent plus la fatalité et se donnent les moyens de changer ce qu’ils peuvent ou croient pouvoir changer, c'est-à-dire à peu près tout. Surtout, ils lient de plus en plus leur bien être à ce corps redessiné selon leur désir.
Quel mal y a-t-il à cela? Absolument aucun. Bien au contraire.
Le Maroc d’aujourd’hui, c’est cela aussi. Il faut le regarder et tenter de le comprendre, pour essayer de s’y trouver une place et se donner une chance de l’accompagner. C’est toujours plus intelligent que de résister les yeux fermés à toute évolution, tout changement, tout phénomène de société, en se disant choqué par tout ce qui déborde. Choqué n’est d’ailleurs pas forcément ce qui colle au plus près de la réalité. Ceux qui se disent choqués sont en réalité dépassés et leurs repères/certitudes bouleversés, voire réduits à néant.
Il est vain et complètement inutile de ramener le débat (sur le bien-fondé de la chirurgie purement esthétique, c'est-à-dire de luxe) à une question de morale ou de différenciation entre le licite et l’illicite. Il faut prendre un peu plus de hauteur et voir plus large. Comme toute promesse de meilleur être (parce que c’est cela la quête ultime de la modernité), la possibilité de changer de corps est une liberté.
Besoin de s’affirmer, de séduire, d’épater, d’être en conformité avec son être ou son rêve intérieur, appelons-le comme bon nous semble. Cela reste une liberté individuelle, qui ne concerne pas la société mais l’individu en question. Point à la ligne.
Et puis entre nous, il est temps d’arrêter de délégitimer tout ce qui a trait au corps, au désir, au sexe. Ces questions sont «sérieuses» et essentielles au bien-être des individus. Après, chacun est libre d’emprunter la voie qui lui plait pour atteindre ou se rapprocher de ce meilleur être. Et pourquoi pas en redessinant les lignes de son corps.
Un grand bravo, au passage, aux personnes qui ont témoigné à visage découvert, des femmes surtout. Les hommes qui ont recours à ce genre de chirurgie n’ont pas eu le courage de se regarder devant le miroir et de s’affranchir du "qu’en dira-t-on".
Que l’on soit pour ou contre, la chirurgie esthétique nous pose un dilemme philosophique: celui de se dire «d’accord, la nature m’a fait ainsi mais, n’ai-je pas le droit de refuser cette fatalité et de me donner les moyens de la changer?».
C’est peut-être illusoire. Mais c’est une question essentielle, et sérieuse. Elle est tout sauf (soi disant) vulgaire, futile ou superficielle. Et c’est cette question que nous renvoie à la figure le reportage de TF1. Réfléchissons-y et sans jeter la pierre à personne. Si c’est possible, bien sûr!