Born in Morocco…

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ChroniqueUne société dont on ne dit pas les travers n’avance jamais: elle est comme une autruche dont la tête est enfouie dans le sable.

Le 03/09/2017 à 11h17

Je me souviens de Mohamed Choukri, quelques mois avant sa mort, assis au milieu d’un petit cercle d’intellectuels et journalistes. L’un d’eux demanda à l’écrivain: «N’avez-vous pas peur de donner (à travers vos livres) une mauvaise image du Maroc?». Choukri haussa les épaules et répondit quelque chose comme: «Je m’en fous !».

L’intellectuel et l’artiste sont souvent à la recherche de cette faille, de ce petit quelque chose qui cloche à l’intérieur d’une société, de ce lézard et de cette fissure dans le mur. Plus la société se veut puritaine, solidaire, exemplaire, irréprochable, plus la faille sera belle, explosive, intéressante.

Par extension, les chercheurs, les journalistes aussi, et tous ceux qui sont payés pour expliquer leur société et la raconter, sont à la recherche de la faille et du petit quelque chose qui cloche. Ils traquent l’imperfection comme d’autres cherchent l’or au fond des montagnes. C’est un rôle essentiel, vital, car une société dont on ne dit pas les travers n’avance jamais: elle est comme une autruche dont la tête est enfouie dans le sable.

Quant à la préservation de la bonne image et de la bonne réputation du pays et de la société, on peut faire confiance aux offices de tourisme, aux chargés de com’ et même à certains hommes politiques, pour remplir ce rôle. Ces gens sont payés pour laver plus blanc, lustrer, vernir et caresser dans le sens du poil.

Prenez la polémique soulevée en un rien de temps par la Une de Jeune Afrique, et qui disait «Born in Morocco (nés au Maroc)» en évoquant les terroristes qui ont frappé en Catalogne. Le titre, avec la symbolique du drapeau national en arrière-fond, titille le subconscient du lecteur marocain moyen. Il fait mal ou peut faire mal parce qu’il va droit à l’essentiel et convoque tout de suite une fibre nationaliste extrêmement sensible, voire susceptible.

Born in Morocco joue, bien entendu, avec l’amalgame et peut laisser penser que c’est le terrorisme et pas seulement les terroristes qui est né au Maroc. Cela peut choquer quand, en face, celui qui lit a la sensibilité à fleur de peau et qu’il est constamment au bord de la crise de nerfs.

Mais ce n’est pas le plus important.

Aussi équivoque soient-il, le titre et l’illustration de nos confrères de Jeune Afrique ont l’avantage de nous sortir la tête du sable. Ils n’y vont pas par quatre chemins et nous disent ce que nous ne voulons pas entendre. Et qui est pourtant énorme, comme un coup de tonnerre. Tous les terroristes qui ont ensanglanté la Catalogne sont Marocains. Oui, Marocains, tous !

C’est assez unique. Cela nous interpelle au plus haut point. Cela nous concerne directement. C’est notre problème. Et il va bien falloir sortir la tête du sable pour regarder cela en face et essayer de comprendre ce qui nous arrive…

Et ça, c’est le boulot des sociologues, des intellectuels et de tous ceux, comme Mohamed Choukri, dont le rôle est de «faire mal».

Par Karim Boukhari
Le 03/09/2017 à 11h17