C'est en tant que prince héritier, visitant le fameux camp de la Maâmora -où se tenaient alors ce qu'on appellerait aujourd'hui des "ateliers de formation" au théâtre, organisés par le ministère de la Jeunesse et des sports- que Moulay Hassan avait pu connaître et apprécier le jeune Saddiki, dont l'allant, l'élégance cabotine et l'esprit vif-argent l'avaient manifestement marqué.
À l'époque, cette nomination n'avait pas été du goût de tous. Selon les confidences que nous avions recueillis auprès de l'illustre homme de théâtre (été 2000), il aurait été, tout au long de son mandat, sournoisement mais sans relâche, combattu par les membres de la puissante centrale syndicale de l'époque, l'UMT, très présente dans le Conseil municipal.
Le budget annuel alloué au théâtre était, en ce temps-là, de 160.000 dirhams. En échange, le concessionnaire était tenu de mettre en œuvre un cahier de charges précis, consistant en tant de représentations par mois, tant de matinées, etc.
En 1964, Casablanca comptait encore quelque 50.000 résidents français qui constituaient l'écrasante majorité des habitués du Théâtre municipal de Casablanca. Un public petit-bourgeois qui voulait du Vaudeville et de la variété.
Le futé Souiri ne les prendra pas de front. Sa révolution, il va l'opérer lentement mais obstinément. Progressivement, il fera évoluer le répertoire. Il fera jouer du Ionesco, du Claudel, du Genet ("Les bonnes"!). Invitera Jean-Louis Barreault, Laurent Terzieff, Béjart, et jusqu'au Harkness Ballet de New York! Excusez du peu...
Mais son autre révolution, véritablement historique celle-là, consistera en sa création, en parallèle, d'une programmation "autochtone". En tant que metteur en scène, Tayeb Saddiki présentera, bon an mal an, deux à trois pièces: des adaptions -du Molière subtilement marocanisé essentiellement- ou des créations originales. Parmi ses dernières, citons ces grands classiques, entrés désormais dans le patrimoine marocain, que sont "Diwan Sidi Abderrahman El Mejdoub" et "Maqamat Badiâ Ezzaman Al Hamadani". Entre 1964 et 1977, Saddiki aura monté pas moins de vingt-neuf spectacles.
Faire venir le public marocain au théâtre, comme nous l’a raconté l'homme de l'art, ne fut pas une mince affaire. Il commencera par un intense travail de relations publiques en direction des intellectuels de gauche -bien plus préoccupés de luttes politiques que de culture. Il y arrive tant bien que mal. Mais le véritable tournant, nous avait confié, avec insistance, cet homme à la parole libre -que le discours politiquement correct horripilait au plus haut point-, était l'introduction massive des coopérants français dans le système éducatif marocain! "C'étaient des jeunes gens à peine plus âgés et désargentés que leurs étudiants qu'ils faisaient venir en masse. Quel public formidable! Quels débats passionnants!"
En 1977, Tayeb Saddiki demande qu'on fasse passer la subvention annuelle du Théâtre de 160.000 à 300.000 dirhams. La chose lui est refusée. Il claque la porte. Il était fatigué de soulever des montagnes et voulait se consacrer à sa propre carrière. As-t-il eu raison de quitter ce navire qui voguait en pleine mer, à une vitesse de croisière? On ne réécrit pas l’histoire.
Toujours est-il qu'avec lui, le Maroc indépendant a connu, le temps d'une décennie, son unique expérience d'un véritable théâtre, au sens universel du terme. Avec une véritable programmation, ô combien riche, passionnante, diversifiée et cohérente -l'adhésion enthousiaste du public en prime.
Mais parlons d'avenir. Pour la première fois de son histoire, le royaume s'est doté de deux très grands théâtres: celui de Casablanca et celui de Rabat. En cours de finition, ces deux infrastructures majeures, réalisées dans les normes internationales les plus pointues, signées de deux des plus grandes stars mondiales de l'architecture, nous remplissent d'ores et déjà d'orgueil. Question: quel contenu pour d'aussi beaux contenants? On veut le programme.