Apocalypse now

Le360

ChroniqueCes dernières semaines, j’ai le sentiment que le monde plonge dans des heures particulièrement sombres et même si j’essaie de lutter contre mon pessimisme naturel, une inquiétude profonde m’habite. Cette terreur a un nom: Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis.

Le 02/02/2017 à 11h58

Il y a quelques jours, j’ai lu dans une revue un passionnant récit sur les coulisses du sublime discours prononcé par le pasteur Martin Luther King, en août 1963. Au départ, le militant des droits civiques, défenseur de l’abolition de la ségrégation, n’avait pas prévu d’entonner le célébrissime refrain «I have a dream», devenu culte dans le monde entier. C’est pour soulever la foule de Washington qu’il a fini par reprendre des accents de prêches, si souvent entendus dans les églises qu’il fréquentait.

Cette phrase j’y pense sans cesse et je me demande si, pour ma part, je ne devrais pas plutôt dire, «j’ai fait un cauchemar». Ces dernières semaines, j’ai le sentiment que le monde plonge dans des heures particulièrement sombres et même si j’essaie de lutter contre mon pessimisme naturel, une inquiétude profonde m’habite. Cette terreur a un nom: Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis. Cette peur, elle a le visage rougeaud de Trump, elle a sa voix, sa moue méprisante, ses manières vulgaires et hautaines. Il faut l’entendre dire, sur un ton désinvolte et insultant: «J’ai demandé à des militaires si la torture marchait et ils m’ont dit: “oui, monsieur le président, ça marche“. Au Moyen-Orient, nos gars se font trancher la gorge et nous on n’aurait pas le droit d’utiliser la violence? On ne se bat pas à armes égales. Si ça marche, alors je rétablirai la torture.»

Ce qui est fascinant chez Trump, c’est qu’il est l’ultime émanation de ce que notre société du spectacle peut produire de pire. Il a tout d’un personnage de fiction et on ne peut s’empêcher de le confondre avec l’un de ces méchants chers à l’univers de Marvel ou des studios hollywoodiens. Oui, et on a envie de se pincer tant cette fiction-là nous semble incroyable. Est-ce possible que l’homme qui dirige la première puissance mondiale ait fait fortune dans la télé-réalité? Qu’il se moque sans vergogne d’un reporter handicapé ou d’une femme journaliste qu’il accuse d’être hystérique à cause de ses hormones? Est-ce possible que cet homme-là, celui qui traite les Mexicains de violeurs, les immigrés de terroristes, les musulmans de traitres, est-ce possible qu’il ait le doigt aussi près du bouton nucléaire?

Il y a d’autres dictateurs dans le monde me direz vous. Des dictateurs bien plus effrayants, des situations bien plus cruelles qui devraient susciter mon empathie et mon inquiétude. Mais vous ne pouvez l’ignorer: l’identité de celui qui dirige la première économie de la planète, la première armée, la première diplomatie, a évidemment des incidences phénoménales sur le reste du monde! Alors, oui, on a commencé par se rassurer en se disant que le pouvoir allait l’assagir et qu’une fois installé dans le bureau ovale, il allait se montrer plus raisonnable. Que nenni! A peine investi, Trump a commencé par vomir, un à un des décrets qui détricotent complètement l’héritage de son prédécesseur, Barack Obama. Bien entendu, c’est le «muslim ban», décret interdisant l’entrée des Etats-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans qui a mis le feu aux poudres. Et même si Trump assure d’une voix pleine d’ironie qu’il ne s’agit en rien d’une mesure discriminant une religion, on ne peut manquer de remarquer qu’il a signé ce décret le jour même de la commémoration de l’Holocauste, ce qui ajoute à la noirceur du symbole.

J’ai fait un cauchemar ces derniers jours. Les portes de l’enfer se sont ouvertes. Partout, de la Hongrie aux Philippines, en passant par l’Angleterre ou l’Autriche, les pouvoirs populistes gagnent en vigueur et en légitimité. Poutine, qui pourrait être considéré comme leur chef de file, doit exulter. En Russie, la semaine dernière on a abrogé la loi qui pénalisait les violences conjugales. Simone de Beauvoir nous avait prévenu: dès que la démocratie vacille, on s’en prend en premier lieu aux droits des minorités, des immigrés et… des femmes! Et pendant que Trump s’en prend au financement des ONG qui se battent pour le droit à un avortement digne et en toute sécurité, des irresponsables, en France, reviennent sur le principe même du droit à l’interruption volontaire de grossesse. La preuve que la bêtise est la chose du monde la mieux partagée…

Vous avez raison, je devrais peut-être me montrer plus optimiste et regarder, dans cette nuit noire, les quelques éclats de lumière. Le 20 janvier, la marche des femmes m’a par exemple réchauffé le cœur. J’ai été bouleversée par ces défilés féminins, passionnés, engagés, qui sont le signe que les femmes ne se laisseront pas piétiner par la misogynie de Trump. Il faut d’ailleurs remarquer que ce jour-là, des millions de femmes ont défilé, accompagnées de leurs enfants, et qu’il n’y a eu, dans les rangs des manifestantes, pas une seule arrestation et pas un débordement!

J’ai été aussi très touchée par l’ampleur de la mobilisation contre le muslim ban ; par ces avocats bénévoles qui ont proposé leur aide dans les aéroports, par ces manifestants qui ont refusé de faire de leur pays une forteresse fermée aux autres. Par ces personnalités juives qui sont allées jusqu’à porter une étoile jaune sur laquelle était brodé le mot musulman.

Oui, tout cela est réconfortant. Mais il ne faudrait pas, là encore, se laisser berner par les lumières de la société du spectacle. Nous abordons, j’en suis certaine, des temps dangereux et il faut rester vigilants sur la défense de nos droits. Souvenons-nous de la politique désastreuse de Bush, des morts qu’il a sur la conscience, de la guerre injuste qu’il a menée et qui a déstabilisé le Moyen-Orient jusqu’à nos jours. A présent, tout peut arriver…

Par Leila Slimani
Le 02/02/2017 à 11h58