"Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors commençons", dit-il sans même attendre les questions des deux journalistes de l'AFP et du quotidien Les Echos. Si ce n'était sa tenue - jogging noir, sandales en plastique - on pourrait se croire à un conseil d'administration de Renault, Nissan ou Mitsubishi Motors, qu'il dirigeait avant son arrestation surprise le 19 novembre.
La salle, toute petite (6 m2 au maximum), est divisée en deux par une paroi transparente. D'un côté, Ghosn entouré d'un gardien prenant des notes sur un pupitre en bois et d'un second qui surveille l'heure, de l'autre, ses interlocuteurs. L'entretien se déroule en anglais pour que le gardien puisse comprendre. Ce parloir est situé au 10e étage de l'imposant établissement de Kosuge, dans le nord de la capitale, où l'ex-PDG de l'alliance automobile se trouve depuis plus de 70 jours.
Loin d'être sinistre, ce lieu ressemble davantage à un hôpital. Ici pas de barbelés, pas d'accès ultra-sécurisé: dans une grande salle d'attente d'une propreté impeccable, les visiteurs patientent sur des sièges en simili cuir, devant un grand écran de télévision diffusant émissions de cuisine ou débats du Parlement.
Lire aussi : Le syndrome de Ghosn
Les gardiens, à la politesse toute japonaise, ont le sourire, tout comme les vendeuses d'une mini-supérette qui permet aux visiteurs d'acheter des produits pour leurs proches emprisonnés. Sur ses étals, toutes sortes de magazines exclusivement en japonais (sport, people, mangas), des snacks et friandises, des couvertures pour détenus frileux...
Comme dans tout lieu public japonais qui se respecte, il y a des consignes à parapluies, une cabine téléphonique, un fumoir. Les visiteurs remplissent une fiche: "nom du détenu: Carlos Ghosn". Le numéro 117 nous est attribué.
Lire aussi : Portrait. Carlos Ghosn: la chute d'une star
Après un peu d'attente, on doit laisser ses affaires au vestiaire. On ne garde qu'un calepin et un stylo, on passe sous un portique. Puis on traverse seuls, sans aucune escorte, un très long couloir gris jusqu'à un ascenseur. Une fois arrivés au 10e étage, une rangée de portes surmontées d'un numéro.
Au guichet, le fonctionnaire indique la cabine où se trouve le détenu sans doute le plus célèbre de la planète.
L'entretien durera 15 minutes chrono. Le magnat de l'automobile, qui n'est pas si amaigri qu'on l'aurait cru, fustige d'une voix assurée "un complot", le refus de la justice de le libérer sous caution, parle de ses projets avortés pour l'alliance.
On tente d'interrompre son flot de paroles. Regard grave qui fixe droit, il avoue sa "fatigue" même s'il est "fort". Sa fatigue de ne pas pouvoir parler à sa famille, de ne pas pouvoir happer un souffle d'air frais plus de 30 minutes par jour, de ne pas pouvoir dormir dans le noir, une lumière tamisée étant constamment allumée. Déjà le temps imparti est écoulé. Une dernière question, mais Ghosn est gentiment renvoyé dans ses quartiers. "Vous reviendrez me voir bientôt!", lance-t-il.