"J'ai dédié deux décennies de ma vie à redresser Nissan et à construire l'alliance, oeuvré jour et nuit dans ce but, dans les airs et sur terre, dans le monde entier", a résumé mardi devant le tribunal le dirigeant de 64 ans.
L'homme aux trois passeports (France, Brésil et Liban) qui était toujours entre deux avions était l'incarnation du patron taillé par, et pour, la mondialisation.
Mais il a trébuché là où personne ne l'aurait imaginé, au Japon, le pays même où il était le plus adulé pour avoir sauvé Nissan au chevet duquel il est arrivé en 1999.
Le fondateur de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, qu'il a hissée au rang de premier groupe automobile mondial, a été arrêté le 19 novembre à Tokyo où il est depuis maintenu en garde à vue.
Démis de ses fonctions de président des conseils d'administration des deux constructeurs japonais, il ne lui reste pour l'heure qu'un titre surtout virtuel, celui de PDG de Renault.
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La brutalité du déclin est inouïe pour ce charismatique patron qui était l'un des capitaines d'industrie les plus respectés de la planète. Peut-être parce qu'il incarnait, mieux qu'aucun autre, l'ère de la mondialisation, lui qui a fait naître une alliance automobile aux dix marques, 470.000 salariés et 122 usines, ayant vendu plus de 10 millions de véhicules l'an dernier.
Né au Brésil dans une famille d'origine libanaise, Carlos Ghosn était sans cesse en mouvement, naviguant entre Paris, Rio, Beyrouth et Tokyo à bord d'un jet privé de Nissan, régulièrement remplacé mais toujours doté de la plaque "N155AN".
Le Wall Street Journal a compté qu'en 2018, l'appareil, à bord duquel Carlos Ghosn a été arrêté, avait décollé de pas moins de 35 aéroports différents.
L'homme a la réputation d'être d'abord un "cost killer", qui a imposé chez Nissan une cure d'austérité. Des employés du groupe japonais le décrivent comme très dur, "demandant des efforts absolument démesurés et mettant une pression incroyable".
Ce régime, Carlos Ghosn se l'imposait à lui-même, se décrivant comme un bourreau de travail, arrivant au bureau à 07H30 "après avoir déjà travaillé quelques heures". Il a toujours défendu ses revenus élevés comme la contrepartie méritée de ses performances, les comparant à ceux encore plus importants de ses rivaux.
Il a été courtisé par d'autres constructeurs, pour des promesses de salaires encore plus mirifiques, mais a préféré rester chez Nissan, une société qu'il aimait, a-t-il argué devant le juge mardi.
Ghosn a longuement insisté sur les résultats obtenus avec les salariés de Nissan: "les fruits de notre travail sont extraordinaires".
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Travailleur acharné, l'homme était aussi mondain: toute la presse internationale a disséqué ces dernières semaines le train de vie de ce diplômé de Polytechnique, entré chez Renault en 1996, ayant gagné 13 millions d'euros en 2017, selon le cabinet Proxinvest. Une rémunération qui ne choquerait pas à Wall Street, mais qui a fait grincer des dents à Paris comme à Tokyo.
Des clichés d'une somptueuse réception donnée au château de Versailles à l'automne 2016 avec des acteurs en costumes d'époque ont refait surface. Des articles ont été publiés à propos d'une villa à Beyrouth et d'un appartement à Rio de Janeiro - cette ville où Carlos Ghosn avait eu l'honneur de porter la flamme olympique, avant l'ouverture des JO de 2016.
A sa cupidité supposée, il répond qu'il était d'abord soucieux de sa famille, d'où le désir de s'assurer des revenus stables, de façon intègre: c'est en tout cas un des arguments exposés devant le tribunal.
Si son ex-femme, Rita, a eu des mots durs à son égard dans la presse japonaise depuis leur divorce, leurs quatre enfants se montrent en revanche très admiratifs de leur père: "je parle avec lui chaque dimanche depuis que je ne suis plus à la maison. Comme il appelle mes soeurs et sa mère, d'ailleurs", a expliqué son fils lors d'un récent entretien accordé au Journal du Dimanche.
"Il peut être un patron dur. Dans la vie professionnelle, il ne cherche pas à plaire à tout le monde. Mais dans la vie personnelle, il est très différent, plus complexe. C'est un homme honnête, un homme loyal. Et assez simple, finalement".
C'est aussi l'image que Ghosn a tenté de donner de lui mardi devant la cour.