Vivre ensemble… à contretemps: un défi pour les jeunes couples

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueQuand deux êtres se rencontrent, il y a cette magie des ressemblances. On s’émerveille de partager les mêmes goûts, les affinités, ce qui unit, ce qui rassure, un regard commun sur la vie… L’autre devient un miroir tendre dans lequel on se reconnaît.

Le 08/08/2025 à 11h00

Mais… vient le moment de vivre ensemble.

Passés les sab’yame del machmach (ou d’el bakore) (les 7 jours d’abricots (ou de figues), les différences surgissent. Parfois discrètes, d’autres criantes. L’un parle beaucoup, l’autre se tait. L’un veut planifier, l’autre improvise. L’un a besoin d’espace, l’autre d’être collé.

On se surprend à se demander: où sont passées nos similitudes?

Vivre à deux, ce n’est pas seulement partager un toit, un lit. C’est aussi et surtout cohabiter avec un autre rythme que le sien. Un autre rapport au temps, à l’émotion, à l’action.

Ces différences, non reconnues, fragilisent la relation, créent les petits agacements qui, cumulés, deviennent des conflits.

«Moi, le matin, j’ai besoin de temps pour émerger. Je suis dans le flou et je veux du silence pour démarrer en douceur. Lui, à peine les yeux ouverts, son cerveau est déjà en marche: il se met à discuter et à me poser des questions sérieuses. Pour moi, c’est une agression. Et il ne l’a toujours pas compris, malgré plus de quarante ans à le lui répéter!»

Chez lui, l’éveil est instantané: son cerveau passe en 5G dès la première seconde. À ses côtés, elle lutte encore pour quitter le brouillard du sommeil: une simple mise en route devient un défi existentiel.

Lui est pleinement réveillé dans sa tête. Elle, réveillée dans son corps, mais ses neurones, eux, restent en veille prolongée. Le cerveau du matin? Une affaire de rythme. À chacun son timing.

Dans un couple, les différences de rythme ne relèvent pas seulement de l’habitude ou du tempérament: elles s’enracinent dans des structures profondes de la personnalité.

Sur le plan cognitif, l’un peut traiter l’information rapidement, là où l’autre a besoin de temps pour réfléchir ou formuler une réponse.

Sur le plan émotionnel, l’un vit et exprime ses émotions dans l’instant, intensément; l’autre les ressent plus lentement ou préfère les garder pour lui.

Côté comportement, l’un agit vite, veut tout régler sur-le-champ; l’autre préfère temporiser, laisser mûrir, éviter les confrontations immédiates.

Et sur le plan relationnel, l’un a besoin de parler pour se sentir connecté, tandis que l’autre se ressource dans le calme ou la solitude.

«Aimer, c’est apprendre à connaître l’autre. L’accueillir dans son étrangeté, l’écouter dans ses silences, respecter ses tempêtes intérieures. Non pas dans la fusion parfaite, mais dans la danse imparfaite des cœurs qui choisissent de se tendre la main, malgré les dissonances.»

—  Soumaya Naamane Guessous

Ces différences ne sont ni des défauts ni des qualités. Ce sont des façons différentes de fonctionner. Dans les débuts amoureux, ces différences de rythme semblent charmantes, complémentaires. L’un admire l’assurance tranquille de l’autre, sa capacité à temporiser. L’autre est séduit par l’élan, la vivacité.

Mais à mesure que le quotidien s’installe, l’enthousiasme vire à l’agacement. Ce qui faisait sourire finit par irriter: «Il est posé» devient «Il ne réagit jamais, il est lourd», «Elle est très active» devient «Elle m’épuise».

L’écart devient un problème, une attaque. Jusqu’à croire que l’autre le fait exprès et, par conséquent, personnaliser les différences: «S’il se comporte ainsi, c’est qu’il se fiche complètent de moi», «si elle veut qu’on en discute maintenant, c’est pour me piéger», «s’il prend autant de temps, c’est pour m’éviter».

Chacun commence à vivre le rythme de l’autre non pas comme une différence, mais comme une entrave. Mais en réalité, chacun agit selon son propre rythme, sa propre temporalité, son propre mode de régulation interne.

L’amour, ce n’est pas la fusion. C’est la négociation permanente des vitesses.

Un couple n’est pas deux clones parfaitement calés l’un sur l’autre. Vivre à deux, ce n’est pas tout faire ensemble, au même rythme, en harmonie constante. C’est être capable de se désynchroniser… sans se perdre.

Et si, parfois, ça frotte un peu, ça grince, c’est la preuve qu’il y a du mouvement, de la vie, de la friction féconde.

Les écarts ne sont pas le fruit d’une mauvaise volonté de l’un ou du manque d’organisation de l’autre. C’est une incompatibilité qui, non reconnue, devient un motif de mésentente.

La culture nous apprend que, dans le couple, l’harmonie doit être parfaite. Une fusion. Mais la réalité est tout autre: un couple est toujours fait de deux mondes, deux vitesses, deux logiques.

Donc, il faut apprendre à vivre dans l’asymétrie, sans s’aligner, sans changer de rythme pour plaire à l’autre. Sans se fondre dans une norme commune, mais plutôt reconnaître la dissonance comme constitutive de la relation.

Cela suppose un travail mutuel: accepter que l’autre ne réagisse pas comme soi, sans y voir une atteinte personnelle. Créer des espaces de négociation et d’ajustement, des moments dédiés aux discussions, des accords sur la gestion du quotidien. Ce qui demande du temps, de la patience, et une forme de maturité relationnelle. C’est la base d’un couple durable, respectueux des singularités de chacun.

Tolérance. Acceptation de la différence. Ces décalages de rythme ne sont pas le signe d’une incompatibilité, mais le cœur même de la cohabitation.

Apprendre à vivre à deux, ce n’est pas chercher l’harmonie permanente. C’est s’accorder malgré la dissonance. C’est accepter que l’autre fonctionne autrement. Une différence qui n’est pas une menace, mais une richesse.

C’est là que le lien devient vrai. Non plus fondé sur ce qui se ressemble, mais sur ce qui s’apprend.

L’harmonie conjugale ne se construit pas sur les similitudes, mais sur la capacité à faire de la place à ce qui n’est pas soi.

C’est dans ce décalage, parfois rude, déroutant, que naît une tendresse plus profonde. Celle qui ne cherche plus à fusionner, mais à accueillir.

Aimer, c’est apprendre à connaître l’autre. L’accueillir dans son étrangeté, l’écouter dans ses silences, respecter ses tempêtes intérieures. Non pas dans la fusion parfaite, mais dans la danse imparfaite des cœurs qui choisissent de se tendre la main, malgré les dissonances.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 08/08/2025 à 11h00