Le débat fait rage aujourd’hui, en Europe, sur la question des migrants. Pas un jour ne passe sans que les journaux ne publient des articles, des dossiers ou des sondages là-dessus. Il y a ceux qui prônent une attitude ouverte, il y a ceux qui exigent qu’on fasse le tri entre vrais et faux réfugiés et il y a ceux qui voient l’Afrique se déverser petit à petit sur l’Europe et prédisent l’Apocalypse, ou en tout cas la fin de la prospérité et de l’État-Providence.
Je suis allé la semaine dernière à un débat organisé à Amsterdam par un parti politique néerlandais sur ce sujet. Ce que j’en ai retenu, c’est la chose suivante: des gens d’un certain âge se levaient dans la salle pour dire, en gros, ceci: «Voilà près d’un demi-siècle que je vote dans ce pays qui se veut démocratique. Jamais on ne m’a demandé mon avis sur la question de l’immigration et me voilà vivant dans une ville où un habitant sur quatre est immigré. Où est la démocratie dans cette affaire?»
En rentrant chez moi, j’ai pensé au Maroc. Allons-nous assister dans quelques décennies à la même protestation de la part de ceux qui sont aujourd’hui en âge de voter et qui seront ces personnes âgées, déçues et désemparées en 2050? Diront-elles que la démocratie est un leurre puisque leur pays a changé sans qu’on leur ait demandé leur avis?
Quelle que soit la position qu’on puisse avoir là-dessus, et chacun est libre d’avoir celle qu’il veut, il n’en reste pas moins que la question est légitime. Si le Maroc est une démocratie, le peuple n’a-t-il pas son mot à dire sur la question de l’immigration? Cependant, il y a un hic: tout cela n’a de sens que si chacun est bien informé. Rien n’est plus inutile ni plus nocif que ces proclamations à l’emporte-pièce chez les «pour» et chez les «contre», proclamations qu’on lit régulièrement dans la presse marocaine («l’immigration africaine est une chance pour nous!», «l’immigration africaine est un danger mortel pour nous!»). Aucun intérêt. Ce qu’il faut, c’est une analyse d’ensemble, concrète et chiffrée, de la question.
Pour cela, il est urgent de mettre en place une commission dans laquelle siégeraient d’éminents spécialistes de toutes les disciplines concernées : la démographie, pour avoir nos chiffres et ceux des pays d’où viennent les migrants ; l’économie, pour établir si l’immigration est une bonne affaire pour le pays ; l’hydrologie, pour savoir si nos ressources en eau pourraient suffire à 40, 60 ou 80 millions d’habitants ; l’agriculture, pour déterminer si nous pourrons nourrir tout le monde ; la sociologie, l’anthropologie et la psychologie, pour comprendre les effets sur la société de l’installation en son sein de gens qui sont, ethniquement ou de par leur religion, différents, etc., sans oublier les spécialistes de l’urbanisme, de la stratégie, de la diplomatie, etc., pour avoir une vue complète de la question.
Ce n’est qu’une fois que la commission aura rendu son rapport, largement diffusé, que chaque citoyen pourra répondre en son âme et conscience à la vaste consultation populaire qui devrait être lancée sur la question de l’immigration. Ainsi, personne ne pourra dire dans vingt ans ou trente ans qu’il n’a jamais pu donner son avis sur cette question si importante, pour ne pas dire vitale.
Exigeons donc du gouvernement qu’il mette en place cette commission dans les meilleurs délais. Il y va de la notion même de démocratie…