Hay Moulay Rachid à Casablanca. Au premier étage d’un modeste immeuble vit la famille Bahti. C’est dans cet appartement en location qu’a grandi Yassine, le pilote porté disparu, avec ses parents et ses cinq frères et sœurs. Dans l’une des trois chambres de la maison, la grand-mère de Yassine est sur le lit. C'est avec elle qu' il partageait cette chambre quand il rentrait en permission à Casablanca. Non loin d’elle, la mère du pilote, en état de choc, refuse de recevoir les condoléances pour son fils bien aimé. Elle garde toujours espoir en l’absence d’une «confirmation d’en haut». D’une voix tremblante qui laisse deviner l’état de fatigue de cette maman qui n’a pas fermé l’œil depuis deux jours, elle répète inlassablement: «Je veux qu’on me ramène mon fils, je veux qu’on me ramène mon fils…»
Dans ce quartier populaire, on n’a pas encore dressé de tente pour les funérailles. Il est vrai qu’il n’y a toujours pas eu de confirmation officielle selon laquelle Yassine soit tombé au combat. Le dernier communiqué du service de presse de l’Inspection générale des FAR laisse dans l’expectative: «Il est à relever que plusieurs images et photos relayées par certains sites internet et réseaux sociaux pourraient être assimilées à des débris de l'avion F16 qui s'est écrasé, à des pièces de carlingue, voire à un corps de pilote. L'authentification de ce flot d'informations et la confirmation qu'il s'agit du pilote et de l'avion disparus, sont rendues difficiles par le fait que le lieu du crash se trouve en zone ennemie». Aussi laconiques soient-ils, les termes de ce communiqué sont pour la famille synonymes d’espoir. «Tant qu’il n’y a pas encore de confirmation officielle, nous restons attachés à l’espoir de le voir pousser la porte et nous revenir», nous explique l’oncle du jeune pilote de 26 ans.
«S’il vous plaît, respectez nos sentiments! Cessez de répandre de fausses informations et photos». Son prénom est Hajar. C’est la benjamine de la fratrie. Son frère était tout pour elle… comme pour le clan Bahti d’ailleurs. Elève brillant, Yassine a réussi haut la main le concours d’accès à l’école des Forces royales air de Marrakech après avoir décroché son baccalauréat en 2007. Et depuis qu’il touche une solde d’officier, c’est lui qui subvient aux besoins de la famille: il paie entre autres le loyer de ce modeste appartement et les frais de scolarité de ses frères et sœurs. Sa générosité et sa politesse en font même le chouchou de ce quartier d’où on ne voit pas souvent sortir des pilotes de F16…
Noureddine Bahti, le père de Yassine, reste à l’écart. Les yeux rivés sur son téléphone portable qu’il ne quitte jamais, il décline poliment notre demande d’interview. Quand son mobile émet la première sonnerie, il accourt pour quitter la maison et répondre dans un coin tranquille. Quelques instants plus tard, il revient pour nous lancer le plus gentiment du monde: «Je suis désolé, mais vous devez quitter la maison. Il y a des instructions pour qu’on ne donne plus de déclarations à la presse». Nous nous exécutons, laissant derrière nous une famille au coeur plein de chagrin...
Images: Abderrahim Et-Tahiry