Il y a onze ans, quand le festival fondé par Jamel Debbouze a fait ses premiers pas à Marrakech, on trouvait l’idée très chouette. L’humoriste était à cette époque à l’apogée de sa carrière et vu du Maroc, on voyait ça d’un bon œil qu’il organise un tel évènement dans son pays d’origine.
Mais les années passant, ce qu’on pensait être une scène marocaine a tôt fait de nous montrer un autre visage, et au fil des ans, on s’est mis à rire jaune.
Au menu, la clique du Jamel Comedy Club, des humoristes principalement issus du métissage qui d’année en année, tournent en dérision leur vie de «rebeus» en France, participant à créer une image caricaturale de la famille arabo-musulmane et des Marocains de France.
Le père bête et méchant qui ne connaît que le langage de la violence, la mère analphabète, les vacances au bled où transparaissent les différences et les divergences entre Marocains, selon qu’ils sont nés sur une rive ou sur une autre…
Tout ça, on en a bien rigolé, mais à force, l’histoire est devenue redondante, le cliché usé et surtout de plus en plus abstrait pour les Marocains qui vivent au Maroc, du moins ceux qui peuvent se payer une place au Marrakech du Rire, et qui partent en France parce qu’ils ont les moyens d’y passer des vacances ou pour y étudier dans de grandes écoles. Pour eux, être assimilés à ce type de clichés ne passe pas. L’image des pays arabes et musulmans n’est-elle pas suffisamment écornée dans ce pays pour qu’on tourne en plus en dérision notre culture?
Et que dire de Fasta Bouyahmed qui ne sort jamais de son personnage de bledard inculte, mal fagoté, libidineux et qui parle lou fronsi koum sa, participant à véhiculer cette image du «bon arabe», (le p’tit Miloud ou le p’tit Mohamed comme on les appelle encore ici), absolument insupportable.
A ces humoristes qui ont décidé de lutter contre le racisme, et/ou de s’assimiler à la société française, en tournant en dérision leur vécu, sont ensuite venus se greffer des humoristes français «de souche» qui– c’est à croire qu’ils se sont tous passés le mot– ont entrepris de nous faire rire, nous autres les Marocains, en tissant la trame de leurs sketchs autour du Maroc, ou plutôt de leur perception du Maroc, quitte à enfiler une jellaba et des babouches pour que ça fasse plus authentique et qu’on les comprenne mieux.
A travers cet humour bien gras et surtout pas drôle, entrecoupé de «salamalikoum», «amdoula» et de «choukrane rouya» à toutes les sauces, en mode «je parle votre langue, je suis des vôtres», se reflète en fait la tonne d’aprioris qui persiste encore dans la société française à l’égard du Maroc.
A chaque festival, le public marocain a ainsi eu droit à sa dose de clichés aussi débiles qu’insultants. Marrakech, la ville des voleurs. Sa médina, un piège pour les touristes. Les conducteurs marocains, de dangereux débiles auxquels on a mis un volant entre les mains au même titre que les pilotes de la compagnie aérienne nationale, quand ce ne sont pas les agents des forces de l’ordre dont on se permet de se moquer. Mais à part ça, qu’on se rassure, on reste un peuple gentil, hospitalier et puis surtout, qu’est-ce qu’on mange bien chez nous.
Cet humour-là, puisque ce que c’est ainsi qu’il convient de l’appeler, ne passe plus au Maroc. Cela fait belle lurette que nous avons compris que ce festival organisé à Marrakech, où ne sont presque jamais invités des humoristes locaux, et retransmis en France sur M6, est en fait destiné à faire rire un public français… à nos dépens.
Alors bon vent au Marrakech du Rire qui ne reviendra pas cette année, en raison, nous dit-on, de travaux au Palais Badii. A la revoyure ou pas!