Maladie et emploi: pour un Code du travail plus humain

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueAu Maroc, l’article 272 du Code du travail et les licenciements abusifs transforment la maladie en double peine, privant les malades de revenus et de couverture sociale au moment où ils en ont le plus besoin.

Le 24/10/2025 à 11h03

Des milliers de Marocains se battent tous les ans contre des maladies graves comme le cancer. Mais au-delà de la douleur et des traitements, certains doivent affronter une menace silencieuse: la perte de leur emploi.

Imaginez une personne qui, un jour, reçoit un diagnostic de cancer. La vie bascule. L’espoir devient un combat quotidien. La douleur et la faiblesse physiques, les rendez-vous médicaux incessants, les frais de déplacements. Les traitements lourds, la chimio, la radiothérapie, épuisent le corps et l’esprit.

Mais le choc ne s’arrête pas là. C’est toute la famille qui vacille. Si c’est le père ou la mère, les enfants ressentent la peur et l’incertitude. Les charges domestiques deviennent impossibles à gérer, les soins coûtent cher, même avec une prise en charge partielle, et chaque déplacement vers l’hôpital ou le centre de chimiothérapie semble un obstacle insurmontable. Une lourde contrainte financière.

Et une menace plane. Le système lui-même. L’article 272 du Code du travail stipule qu’un salarié en arrêt maladie de plus de 180 jours est considéré comme démissionnaire. Autrement dit, au moment où il a le plus besoin de stabilité, son emploi peut lui être retiré automatiquement.

Licenciement abusif. Certaines entreprises se séparent de leurs salariés malades en invoquant un motif économique, alors que la vraie raison est la maladie. Le résultat est implacable. En plus de la maladie, la personne perd son emploi, n’a plus de revenu, et se retrouve privée de couverture sociale, ce qui rend les traitements encore plus difficiles à financer.

Les femmes subissent souvent une autre peine. D’un côté, la perte de leur emploi et donc de leur couverture sociale professionnelle. De l’autre, lorsqu’elles ne travaillent pas, beaucoup sont abandonnées par leurs époux qui leur reprochent leur faiblesse et de ne plus jouer leurs rôles de ménagère. Le divorce entraîne la perte de la couverture maladie dont elles bénéficiaient en tant qu’ayant droit de leur mari affilié à une mutuelle ou à la CNSS. Elles se retrouvent sans ressources, sans sécurité sociale et sans soutien affectif. Ce cumul de pertes, travail, santé, protection et dignité, transforme la maladie en drame social et humain, vécu comme une injustice profonde: être rejetées comme un fardeau, précisément au moment où elles ont le plus besoin de solidarité et de compassion.

À l’association Dar Zhor, maison d’accompagnement et de soutien pour les patients atteints de cancer et leur entourage, de nombreux témoignages illustrent ces drames.

Dar Zhor a lancé une campagne de sensibilisation, avec une pétition, pour que des personnes atteintes d’un cancer ou d’une maladie chronique ne perdent plus leur emploi, leur revenu et leur couverture sociale alors même qu’elles luttent pour leur vie.

Sinon, la maladie devient une triple peine: souffrance physique, déséquilibre familial et exclusion sociale. Oui, au-delà de six mois d’arrêt, le lien de travail est rompu, comme si l’absence prolongée équivalait à une démission volontaire. Pourtant, qui choisirait de «démissionner» pour subir une chimiothérapie, une greffe ou un traitement lourd? Cette règle transforme une épreuve médicale en sanction sociale.

Une contradiction avec les principes énoncés dans la Constitution marocaine de 2011, qui garantit le droit à la santé et à la protection sociale. Pourtant, dans la pratique, l’article 272 transforme un moment de vulnérabilité en sanction sociale, laissant les malades et leurs familles face à un choix impossible. Lutter pour survivre ou risquer de tout perdre.

Cette situation pose problème aux petites entreprises, comme nous le confie cet entrepreneur: «J’ai une petite entreprise de cinq employés. Mon vendeur a eu un cancer. Je l’ai soutenu financièrement, mais j’ai dû embaucher quelqu’un d’autre pour maintenir l’activité. Quand il est revenu, je ne pouvais pas payer deux salaires, ni licencier le nouvel employé. Une petite entreprise ne peut pas assumer seule ce fardeau. C’est à l’État de prendre en charge ces situations.»

Ce témoignage montre qu’il ne s’agit pas d’opposer malades et employeurs. Les deux sont victimes d’un système insuffisant. L’entreprise se retrouve démunie, et le salarié gravement malade est abandonné.

Réformer l’article 272 n’est pas un privilège. C’est une question de dignité et de justice sociale. Il est urgent d’allonger la durée de protection pour les maladies graves ou chroniques, de garantir le maintien des droits sociaux et de la couverture médicale, de mettre en place des mécanismes pour compenser les absences prolongées et de faciliter la réintégration professionnelle après une longue maladie.

La maladie ne doit plus être synonyme de condamnation sociale. Les personnes malades, déjà confrontées à l’épreuve la plus difficile de leur vie, méritent un filet de sécurité, une protection qui leur permette de se concentrer sur leur rétablissement et non sur leur survie économique.

Protéger ceux qui luttent pour vivre, c’est affirmer que la dignité humaine est au cœur de la société. Que la solidarité, l’humanité et le droit peuvent aller de pair.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 24/10/2025 à 11h03