Je ne vous ferai pas l’injure de prétendre vous apprendre quoi que ce soit sur Essaouira - qui ne connaît pas la ville fondée par le sultan Mohammed ben Abdallah en 1760 à partir d’un plan tracé par Théodore Cornut? Qui ne sait pas qu’il y avait là un site connu depuis l’Antiquité, occupé un temps par les Phéniciens puis, bien plus tard, par les Portugais qui y édifièrent une forteresse au début du XVIe siècle?
Je ne prétends pas non plus vous révéler qu’Essaouira est une ville multi-religieuse -juifs, musulmans et chrétiens s’y sont longtemps côtoyés-, parfois mystique -il y a des confréries soufies un peu partout dans la médina-, et résolument artistique -tout Souiri qui se respecte manie le pinceau ou taquine la muse ou gratte le bendir.
Vous savez également que c’est la seule ville marocaine où les chats n’ont pas peur des humains. Mieux: les chats possèdent la ville et nous y tolèrent. Merci -ou plutôt miaou.
Puisque vous insistez pour que je vous apprenne quand même quelque chose sur cette cité, sachez que le 5, rue d’Oujda, demeure historique de la famille de ma mère, les Ch’bani, est devenu un street café -en anglais dans le texte. Je l’ai constaté avec stupéfaction vendredi dernier. C’est également le siège local d’une organisation des droits de l’Homme, ce qui m’a rempli d’une fierté bien légitime.
Si j’étais là-bas le week-end dernier, c’était évidemment pour le Festival g’naoua, qui renaît de ses cendres après les années Covid. Les amateurs du monde entier sont venus. J’ai bavardé avec des Allemands et des Espagnols, avec l’acteur américain Robert Wisdom (The Wire, Prison Break…), avec un Finlandais assez allumé, avec une citoyenne délurée de Trinidad-et-Tobago -je ne blague pas. Et il y avait aussi beaucoup de Marocains du monde qui vous abordent par un cordial khouya avec l’accent de Rotterdam ou de la banlieue parisienne. Quant au Sud-Africain avec qui j’ai échangé quelques phrases en afrikaans, il n’en est toujours pas revenu…
Souvenirs, souvenirs… La joyeuse parade d’ouverture, jeudi soir; des artistes de tous les horizons dans l’ancienne médina; la scène Moulay Hassan, théâtre d’une superbe fusion entre g’naoua marocains et percussionnistes subsahariens; un saxophone qui s’invite là-dedans; le Trio Joubran sur la terrasse du Bastion, qui abrite une exposition de peinture; 1h30 du matin samedi et la fête continue de plus belle; une effervescence partout perceptible; le temps doux et clément; la magie qui se dégage de cette diversité…
En fait, le Festival g’naoua est bien plus qu’un événement musical. C’est autre chose. C’est une sorte de fusion spirituelle entre une ville, ses remparts, ses ruelles, ses habitants, la mer, le vent, la musique et les visiteurs -dont certains ne repartent plus.
Et pourtant, horresco referens, je sais de source sûre que les organisateurs ont eu des difficultés à mobiliser les sponsors cette année.
Qu’on se le dise -et qu’on en frissonne: le Festival g’naoua a failli mourir.
Non. Non. Non. Je le dis en tant que Souiri (par ma mère) mais surtout en tant que Marocain et que citoyen du monde: le Festival g’naoua ne doit pas mourir. L’atmosphère unique qui règne dans Essaouira pendant ces quelques jours ne doit pas disparaître.
Parce que l’esprit d’Essaouira, c’est celui du Maroc dont nous rêvons. Ouvert, fraternel, tolérant, souriant (souiriant…), félin et humain, empreint de spiritualité, bercé de rythmes et du son des vagues.
Non, le Festival g’naoua doit vivre. Parce que le Maroc dont nous rêvons doit advenir.