Ancien bassin agricole suburbain, la palmeraie de Marrakech se cantonne désormais à une simple attraction touristique, en perdition.
«Rien n’est plus saisissant que le spectacle qui s’offre à la vue lorsqu’en arrivant de Casablanca, on s’aperçoit tout d’un coup, quelques kilomètres avant d’atteindre Marrakech, au milieu d’une grande plaine d’aspect désertique barrée au sud par la ligne bleue et blanc de l’Atlas, le vert imprévu, abondant, le vert frais, reposant, d’une immense oasis, dans laquelle se dissimule presque la vieille ville berbère». C’est ainsi que l’urbaniste français Jean Claude Nicolas Forestier décrivait au début du XXe siècle, dans son rapport sur Marrakech, le paysage qu’offrait à l’époque la palmeraie, autrefois verdoyante, de la ville ocre.
Et comme en témoigne les clichés en noir et blanc datant du protectorat, la palmeraie profitait encore d’une biodiversité agricole, caractéristique des oasis, avec une prédominance d’activités d’élevage. Quelques siècles auparavant, cette création almoravide, qui se développait sur plusieurs milliers de hectares à la circonférence de la cité ocre, constituait non seulement un rempart contre la désertification, mais permettait, grâce au système d’irrigation des khettaras, de «développer une biodiversité des plus riches au monde, constituée de vingt-cinq espaces végétales qui s’organisent autour du palmier dattier», fait savoir l’experte en patrimoine Soad Belkeziz, architecte experte en tissus anciens, dans son ouvrage Le Miracle de l’eau, Marrakech, cité-jardin idéale (ID territoires).
D’un territoire réservé aux cultures nourricières ayant abrité des siècles durant une faune et une flore exceptionnelles, cette vaste plantation de dattiers laisse entrevoir, aujourd’hui, de plus en plus des îlots de verdure dispersés et des espaces dénudés. Le même triste sort est réservé aux khettaras ou seguias qui drainaient l'eau depuis le Haut Atlas jusqu’à cet ancien bassin agricole suburbain et dont l’essentiel des conduits souterrains a été enterré.
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«La palmeraie fut aussi un lieu de sauvegarde de la biodiversité agricole, caractéristique des oasis, avec les palmiers dattiers comme espèce emblématique qui domine, mais également la strate arborée - grenadiers, citronniers, amandiers, oliviers, etc. - et aussi la strate des cultures annuelles (céréales, fourrages, etc.). L'enchevêtrement de ces cultures et leur couplage avec l'élevage, créent les conditions d'une activité agricole durable et résiliente aux chocs climatiques et économiques», explique Mohamed Taher Sraïri, enseignant chercheur à l'Institut agronomique, spécialiste de l’agriculture oasienne.
En l’état actuel, la palmeraie se cantonne à une simple attraction touristique. Il est, certes, toujours possible d’y apprécier un «magnifique coucher du soleil», mais non sans un petit pincement au cœur. Sol poussiéreux, troncs calcinés, et palmiers sans ombrage. Dans ce qui s’apparente à un désert, seuls des lots de jeunes palmiers qui jaillissent de terre entretiennent l’espoir de jours meilleurs.
Cet état des lieux n’a pourtant plus rien de choquant pour les acteurs économiques, notamment les opérateurs touristiques pour qui, ce peuplement de palmiers, a cessé depuis quelque temps de remplir sa fonction esthétique. La décrépitude graduelle de ce havre de paix se reflète, d’ailleurs, par les activités qu’il abrite au fil des années. A un environnement eco-friendly proposant aux touristes des balades à dos de dromadaires, se substitue une offre plus bruyante avec des défilés incessants de quads, avant de servir tout récemment de sentier accidenté pour les amateurs de course extrême.
Les raisons de ce dépérissement ne sont pourtant pas méconnues, et peuvent être contenues dans le tripartite: sécheresse, surexploitation des nappes et urbanisation galopante. Sécheresse, du fait principalement du déficit pluviométrique et de la surexploitation des ressources hydriques. A la paucité des ressources superficielles qui incite Marrakech à se tourner vers le barrage Al Massira pour assurer les 2/3 des ses approvisionnements en eau potable, le déficit annuel (160 millions de mètres cubes) des nappes phréatiques dans la région ne peuvent entretenir durablement ces espaces écologiques. «Le niveau de la nappe phréatique est très variable en passant de la palmeraie Nord-Ouest qui est limitée entre les deux routes Casablanca et Safi et au Nord par l’oued Tensift, considérée comme zone plus ou moins humide et la palmeraie Nord-Est qui est plus desséchée», relativise Abdelilah Meddich, professeur de biotechnologie et physiologie végétale à l'université Cadi Ayyad de Marrakech.
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Aux facteurs climatiques d’origine anthropique, s'ajoutent d’autres contraintes, naturelles cette fois-ci, comme le vieillissement des palmiers, la pauvreté de la fertilité des sols liée aux faibles teneurs en matière organique ou encore les attaques subis par certains ravageurs. En effet, plusieurs espèces nuisibles ont été détectées par les équipes de recherche de l'Université Cadi Ayyad: «L’on citera par exemple, les larves Potosia Opaca, Phoenix dactylifera et Phoenix canariensis et qui méritent d’engager un diagnostic approfondi couvrant les milliers de sujets de palmiers dans les deux zones de la palmeraie Nord-Est et Nord-Ouest. Aussi, la cochenille blanche causée par Parlatoria blanchardi a été rarement notée sur certains sujets de palmiers de la palmeraie et qui mérite des traitements pour éviter l’affaiblissement des sujets infectés et pour freiner à terme sa propagation», précise Abdelilah Meddich.
Le manque d’attrait pour ce type de culture est en grande partie imputable à la politique de développement territoriale. «L’état de négligence de l'entretien de la palmeraie réside dans la diversité des statuts fonciers. A ma connaissance, près de 50% des terres sont soit habous ou relèvent du domaine privé de l'Etat, deux statuts qui ne sont pas de nature à favoriser les investissements sur le long terme», soutient pour sa part l’enseignant chercheur à l'Institut agronomique, Mohamed Taher Sraïri.
L’effritement de la palmeraie augure-t-il pour autant de son éventuelle disparition? «Non», tranche le professeur Meddich. Et de poursuivre: «cette contrainte ne se pose pas dans la même ampleur pour le cas des plantations de palmiers adultes et qui avec les très faibles chutes pluviométriques annuelles de la région Marrakech-Safi, peuvent persister et continuer à vivre avec un état de santé moyen à chétif, mais sans disparaître vu leur système racinaire déjà bien développé et apte à pomper le peu d’eau qu’il y a à partir des sols. En revanche, pour les jeunes plantations de palmiers nouvellement plantés, l’arrosage est obligatoire pendant quelques années (au moins 3 à 5 ans)».
En ce sens, un programme de sauvegarde et de développement de la palmeraie, initié en 2006 par la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement, a permis de planter près de 580.000 jeunes arbres. Cette cure de jouvence de la palmeraie vient accompagner d’autres actions engagées sur le terrain au profit de sujets adultes en vue de les préserver contre de redoutables ravageurs.