Il y a cette historiette que tous les adultes aimaient transmettre aux plus jeunes, celle du seigneur et du va-nu-pieds. Tous les Marocains la connaissent. Le seigneur demande: «Que veux-tu, ô toi qui n’as rien?». Réponse du va-nu-pieds: «Ô Seigneur, je veux juste une bague».
Mais bien sûr!
Aujourd’hui encore, on aime raconter cette haddouta (petite histoire) dans le but d’inculquer aux jeunes de la génération Z que l’essentiel est d’avoir à boire et à manger. Le reste n’a aucune importance, c’est du superflu. Sous-entendu: le va-nu-pieds n’a rien compris, ne faites surtout pas comme lui…
En réalité, le va-nu-pieds est tout sauf idiot. Bien sûr qu’il veut étancher sa faim, sa soif. Mais il veut aussi continuer de rêver. Il a compris que le rêve, c’est-à-dire la bague, est aussi vital que le reste. Il sait que boire, manger ou se protéger de la chaleur et du froid ne remplaceront jamais cette fonction essentielle de rêver…
Le rêve n’est pas un luxe. C’est un besoin vital, aussi précieux que l’oxygène, condition sine qua non pour continuer de vivre. Même le va-nu-pieds, qui n’a rien et qui manque de tout, a ce besoin de rêver.
«Said Aouita et Nawal El Moutawakil, en leur temps, ont changé la donne. Au-delà de leurs médailles olympiques et de leurs records, ils ont restauré cette confiance perdue. C’était le plus beau des miracles»
Quand, il y a une semaine, les U20 marocains ont remporté le Mondial, je me suis rappelé de cette histoire. Des amis de la génération X, enfants des années 1960-70, m’ont appelé. Il était pourtant tard, très tard, et certains parmi ces amis sont aujourd’hui des grands-pères heureux qui n’attendent (presque) plus rien de la vie. Ils m’ont appelé en pleurant. Parce qu’il y a encore quelque chose qui remue en eux. Parce qu’ils rêvent encore.
Cette génération a ouvert les yeux sur un Maroc en plein doute. Elle a grandi avec l’idée fixe que le Marocain ne pouvait jamais être champion du monde en quoi que ce soit. Il y avait toujours un enseignant, un encadrant, qui disait: «On vous a nourri de pain et de thé (Khoubz wa-thay), vous ne pouvez jamais accomplir de grandes choses».
Said Aouita et Nawal El Moutawakil, en leur temps, ont changé la donne. Au-delà de leurs médailles olympiques et de leurs records, ils ont restauré cette confiance perdue. C’était le plus beau des miracles. Ils ont montré que le «koubz wa-thay» pouvait suffire pour aller haut et loin, à condition de travailler, encore et encore. Leurs victoires allaient bien au-delà du sport. Ils ont gagné des courses et ils ont surtout restauré la confiance et les rêves brisés de la génération X.
L’exploit de nos jeunes U20 (les moins de 20 ans) au Mondial du Chili a réveillé ce petit quelque chose qui va au-delà du sport et du football. Appelons-les la génération Z, pour rester dans l’air du temps. C’est ce petit quelque chose qui a fait pleurer les jeunes grands-pères qui m’ont appelé si tard, dans cette nuit magique du dimanche au lundi.





