Infidélité

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueDire la vérité comporte un risque: une rupture définitive. Alors, se taire? Vivre la relation de façon clandestine et coupable? Quoi qu’il en soit, la fidélité est une vertu qui génère ennui et lassitude. Quant à l’infidélité qu’on appelle communément adultère, elle aboutit souvent à la solitude et au chagrin.

Le 17/11/2025 à 10h59

Un sujet tabou. On n’en parle pas. Notre société serait-elle parfaite? Non, surtout pas. Notre normalité est dans nos failles, nos vices et aussi dans nos faiblesses.

Cela concerne autant les hommes que les femmes.

L’infidélité, c’est le mensonge, le silence, ne pas pouvoir dire la vérité, faire semblant, s’arranger pour ne rien laisser apparaître, être le ou la même malgré les turbulences internes; être à côté de soi; être l’un/l’une et l’autre.

Moralement, l’infidélité est une trahison, d’après le sens commun. Trahir, c’est rompre un contrat, écrit ou moral, une sorte de lien où on fait des trous.

On passe beaucoup de temps à combler ces trous, à les dissimuler, à les empêcher de laisser passer la lumière d’un autre amour, d’une autre rencontre.

Un pacte rompu. Une fenêtre laissée ouverte malgré le vent et le froid. Et puis, il y a les petits gestes du quotidien. Tout d’un coup, ils prennent une autre allure, une autre couleur, ce qui pourrait éveiller des soupçons.

L’ère du soupçon est quelque chose d’insupportable. On est suspendu. Pas tout à fait jugé. Pas tout à fait condamné. Le soupçon et le cousin du doute. À partir de là, la vie, la double vie, n’est plus possible.

Et le bonheur qu’on a cru vivre s’éloigne dans un brouillard où il n’y a ni espérance ni tendresse.

Dans le plus beau pays du monde, point de débat autour de ce sujet, pourtant aux effets réels et dévastateurs. On part du principe que l’amour est un acquis, une assurance sur la vie, sur le couple. On ne dit pas les mots doux, les expressions tendres; on vit et tout est supposé exister sans le besoin de le mettre dans les mots. Question de pudeur ou hypocrisie bien partagée. On n’a pas besoin de dire des choses pour rassurer le conjoint.

La fidélité en amitié est fondamentale. Car l’amitié est basée sur un consentement gratuit, sans intérêt, sans sexualité. Nous sommes heureux de nous retrouver pour le simple besoin quasi quotidien de se voir, de parler, de boire un café et d’observer les passants. L’amitié n’a pas besoin d’être mise à l’épreuve, elle est naturelle, c’est de l’ordre de la soudure, une soudure fraternelle, comme la définit Montaigne.

«Oscar Wilde: «Ceux qui sont infidèles connaissent les plaisirs de l’amour; ceux qui sont fidèles en connaissent les tragédies». Il faudrait ajouter à ce constat un autre: la fidélité est la forme la plus noble de la servitude!»

—  Tahar Ben Jelloun

La fidélité dans une relation amoureuse est aussi fondamentale, mais quand elle est trahie, elle fait moins mal que la trahison de l’amitié.

Je ne dis pas que c’est facile, que c’est supportable; non, toute trahison est une blessure insurmontable.

Pour préserver la qualité du lien amical, deux choses doivent être absolument évitées: l’argent et le sexe.

Dès que ces deux choses interviennent dans une relation amicale, c’est la catastrophe. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas aider l’ami qui a besoin d’argent. Mais pas d’affaire avec lui.

Nous sommes dans l’ensemble adeptes de l’amitié virile. Car nous sommes une société masculine où les femmes ont du mal à y trouver leur place. Difficile de demander à une épouse d’accepter tous les amis de son mari. Elle est en droit de ne pas les aimer et encore moins de les recevoir chez elle.

Le mariage est une double rupture: rupture (momentanée) avec la mère; rupture avec le passé du célibat et la fréquentation des copains. L’épouse doit s’imposer et surtout lui accorder le droit d’exister en dehors de la mère et des copains.

Dans le très charmant film de Sacha Guitry «Faisons un rêve», des hommes parlent entre eux de l’inconvénient d’être trompé. La remarque de l’un d’eux est drôle et pathétique: «Ce qui me gêne dans l’infidélité de ma femme, c’est l’homme qui découvre de quoi je me contentais!». Il vaut mieux le prendre de la sorte et avaler la couleuvre sans bouger.

Tant de sociétés ont essayé de trouver une solution à l’infidélité: pratiquer «l’amour libre», revendiquer «le polyamour», dire la vérité et assumer les blessures qui en découlent; tout cela relève des tentatives de vouloir réussir «la quadrature du cercle». C’est simplement impossible.

Dire la vérité comporte un risque: une rupture définitive. Alors, se taire? Vivre la relation de façon clandestine et coupable?

Oscar Wilde: «Ceux qui sont infidèles connaissent les plaisirs de l’amour; ceux qui sont fidèles en connaissent les tragédies». Il faudrait ajouter à ce constat un autre: la fidélité est la forme la plus noble de la servitude!

L’un comme l’autre traverse l’enfer et parfois succombe dans le tragique, lequel fait oublier les moments volés au bonheur.

Quoi qu’il en soit, la fidélité est une vertu qui génère ennui et lassitude. Quant à l’infidélité qu’on appelle communément adultère, elle aboutit souvent à la solitude et au chagrin.

Quoi qu’on fasse, on est dans le pétrin. Comme Louis Aragon a écrit: «Rien n’est précaire comme vivre». Alors, soyons légers tel le vent du matin.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 17/11/2025 à 10h59