La séquence dure une dizaine de secondes: on y voit une femme habillée en jean et T-shirt, visiblement prise de panique, poursuivie par de nombreux hommes qui tentent de l'encercler sur une avenue de Tanger. Des images qui ont suscité des réactions contrastées sur les réseaux sociaux: si certains désapprouvent, d'autres s'en sont pris à la victime en jugeant sa tenue "indécente".
"Elle peut se dénuder si elle veut, mais pas dans notre ville conservatrice!", a commenté un internaute. "Cette traînée a eu ce qu'elle méritait!", a écrit un autre. Mais les médias locaux et défenseurs des droits de l'Homme ont immédiatement condamné le harcèlement de la jeune femme. Marcher seule dans la rue relève parfois du parcours de la combattante: les femmes y subissent fréquemment remarques désobligeantes et insultes.
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"Je suis autant scandalisée par cette agression violente et collective que par les réactions désignant la victime comme coupable du fait de sa tenue vestimentaire supposée provocante, même si en fait elle ne portait qu'un simple jean et un T-shirt", déclare à l'AFP Nouzha Skalli, militante pour l'égalité des sexes et ex-ministre en charge des Droits des femmes.
Mustapha Ramid, ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme, joint par l'AFP, concède que la loi marocaine "condamne le harcèlement des femmes au travail, mais pas dans les espaces publics". Il assure néanmoins qu'un projet de loi "complet" qui criminalise les violences à l'égard des femmes, incluant pour la première fois le harcèlement dans les lieux publics, est en cours d'adoption au Parlement.
En termes de violences à caractère sexuel ou sexiste, le Maroc présente un bilan pour le moins déplorable: près de deux Marocaines sur trois sont victimes de violences, selon des chiffres officiels. Et les lieux publics sont les endroits où la violence physique à leur égard est la plus manifeste.
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Au coeur de la capitale Rabat, peu de femmes sont attablées en terrasse dans les innombrables cafés qui trônent sur le fameux boulevard Mohammed V. "Et encore! Nous sommes dans un quartier plutôt chic. Allez voir dans les quartiers populaires, les femmes y sont exclues de l'espace public!", vitupère Sara, la trentaine, une habitante du quartier. "Sans parler des villes conservatrices ou des bourgades reculées. Cela vous donne une image de l'hégémonie de l'homme".
En cause, une "culture traditionnelle" qui considère l'espace public comme réservé aux hommes et, de ce fait, "la présence des femmes comme une intrusion indue", explique Nouzha Skalli, qui évoque une "recrudescence" des agressions dans l'espace public.
En toile de fond, les contradictions d'une société tiraillée entre modernité et conservatisme. D'un côté la "libéralisation des moeurs qui légitime l'attrait sexuel pour les filles et déculpabilise la drague", de l'autre la "propagation d'une idéologie misogyne et agressive, qui les accuse de s'habiller de façon provocante et les considère comme responsables", décrypte l'ancienne ministre.
Ces dernières années, plusieurs cas d'agressions ont défrayé la chronique, notamment sur les plages où les femmes hésitent de plus en plus à se mettre en maillot de bain. Ces agressions revêtent un caractère collectif et décomplexé, par des jeunes se considérant comme "défenseurs de la vertu", regrette Mme Skalli, qui dénonce une "idéologie moyenâgeuse et dangereuse".
En 2016, une page Facebook, fermée depuis, incitait à prendre en photo des femmes en bikini pour les désigner à la vindicte publique.