Enseignement: la mission française au Maroc en crise

Lors d'une précédente manifestation contre les hausses des prix dans les écoles d'enseignement français au Maroc.

Lors d'une précédente manifestation contre les hausses des prix dans les écoles d'enseignement français au Maroc. . DR

Mercredi 12 juin a été décrété «journée école morte» par les associations de parents d’élèves et les enseignants des écoles françaises au Maroc. Cette journée de protestation est symptomatique d’une grave crise au sein de la mission française. Les raisons.

Le 13/06/2019 à 16h29

Avec 22 établissements, le Maroc est le pays qui abrite l’un des réseaux les plus denses au monde de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Pourtant, ce que l’on appelle communément «la mission» traverse une zone de turbulences qui menace sérieusement l’attractivité des écoles françaises au Maroc.

Mercredi 12 juin, il n’y avait pas foule sur les bancs des écoles primaires françaises au Maroc. Répondant massivement à l’appel «journée école morte» lancé par les associations de parents d’élèves, peu nombreux sont ceux qui ont envoyé leurs enfants à l’école ce jour-là.

Depuis quelques années déjà, les appels aux grèves et aux manifestations se multiplient dans les rangs des parents d’élèves. Frais de scolarité en hausse annuelle constante, mauvais état des infrastructures et, enfin, recrutement croissant de contractuels locaux…Autant de sujets épineux qui ne trouvent ni réponse ni solution du côté de l’AEFE.

A l’origine de cette journée «école morte» tristement célébrée le 12 juin, la grogne des parents mais aussi celle des professeurs résidents des écoles françaises au Maroc.

L’alerte rouge des parents et des professeursPour tenter de faire entendre leur voix, les associations de parents d’élèves se sont fendues d’un communiqué dans lequel elles ont appelé à une mobilisation générale.

«Vous avez certainement constaté ces dernières années que nos établissements enregistrent des diminutions de budget de la part de l’Etat français. Cela s’est traduit par des fermetures de postes d’enseignants résidents titulaires de l’éducation nationale, des proportions jamais atteintes depuis la création de l’AEFE», explique-t-on dans ce communiqué destiné aux parents d’élèves, en préambule d’un appel à ne pas envoyer les enfants à l’école le mercredi 12 juin 2019.

A l’unisson avec les parents, les syndicats de professeurs à l’origine de cette journée sans école, ont eux aussi tiré la sonnette d’alarme. «La situation de nos établissements du réseau AEFE n’a cessé de se dégrader ces dernières années: hausse des frais d’écolage, importance des effectifs, budgets en berne», expliquent ainsi Philippe Amrane et Véronique Soares, respectivement secrétaires de la SNUipp-FSU Maroc et de la SNES-FSU.

Qu’en est-il vraiment? Cette énième grogne repose-t-elle sur des arguments fondés ou relève-t-elle du caprice comme le pensent certains?

Toujours plus cher… mais pourquoi?C’est un secret de polichinelle: inscrire son enfant à la mission française (quand on fait partie des happy few qui y parviennent) représente un sacré investissement financier.

Toutefois, ce à quoi les parents d’élèves ne sont pas forcément préparés en entrant dans ce système, c’est aux augmentations annuelles et non justifiées des frais de scolarité.

Si les droits de première inscription payées au début de la scolarité de l’enfant restent identiques d’une année à l’autre, soit 14.000 dirhams pour un Français, 20.000 dirhams pour un Marocain et 23.000 dirhams pour toute autre nationalité, ce n’est pas le cas des frais annuels qui, eux, augmentent de manière exponentielle d’une année à l’autre.

A titre d’exemple, au titre de l’année scolaire 2016-2017, un élève français payait 31.760 dirhams en moyenne section et grande section contre 32.510 dirhams l’année suivante et 33.260 dirhams en 2018-2019.

Même son de cloche pour les autres nationalités et niveaux de classe. Du CP au CM2, un élève marocain déboursait 36.630 dirhams en 2016-2017, contre 37.380 dirhams en 2017-2018 et enfin 38.130 dirhams en 2018-2019.

Qu’est-ce qui justifie de telles augmentations? Rien, selon les associations de parents d’élèves inscrits dans le cadre des écoles de l’AEFE, et rien non plus du côté de l’AEFE qui ne fait mention d’aucun astérisque, PS ou NB pour justifier ces augmentations dans ses notes d’admissions annuelles.

Alors où va cet argent? Les parents ne sont pas dupes. D’un côté, on augmente les frais. De l’autre, on applique une politique de fermeture progressive des postes d’enseignants titulaires ainsi que de non-renouvellement des détachements. Pire encore, les syndicats de professeurs dénoncent dans le même temps «les restrictions budgétaires qui entravent le fonctionnement des établissements.»

Une crise de l’enseignement sur fond de crise financièreCes augmentations passent d’autant plus mal que l’AEFE, cette agence créée en 1990, a pour vocation de gérer l’ensemble des concours humains et financiers apportés par l’État français au fonctionnement des établissements d'enseignement français à l’étranger.

«Elle recrute, rémunère et assure l'inspection des personnels titulaires de l’Éducation nationale (plus de 6.500 personnes) qu'elle affecte aux établissements dont elle a la gestion directe (72) ou qui lui sont associés par une convention (155)», peut-on ainsi lire sur le site de l’AEFE. Autre engagement de l’AEFE, allouer «aux établissements scolaires des subventions de fonctionnement, d’investissement, d’équipement et d’appui pédagogique». 

Une mission qui est loin de la réalité si l’on en croit Philippe Amrane et Véronique Soares: «nous sommes également face à une loi dite de la confiance qui est mise en place sans concertation et malgré la défiance de l’ensemble de la communauté éducative. Les dernières annonces pleines de promesses sont en contradiction avec les décisions prises par le Ministère de l’éducation nationale comme la suppression de 1000 postes au concours de professeur des écoles pour 2019».

Et de souligner qu’à la baisse du nombre d’enseignants résidents de ces deux dernières années, «s’ajoutent, en 2019, 10 postes supprimés dans le premier degré au Maroc. Ces suppressions sont compensées par le recrutement de personnels de droit local payés intégralement par les familles». Autrement dit, la mode est au remplacement du personnel français par des Marocains ou des Français résidents.

Des professeurs pas logés à la même enseigneRégis par le décret n°2002-22 du 4 janvier 2002 relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d’enseignement français à l’étranger, les contrats d’expatriés et de résidents posent aujourd’hui problème.

Et pour cause, il fut un temps où les cours au sein des missions françaises étaient principalement dispensés par des professeurs français expatriés. Ceux-ci étaient soumis à des contrats que l’on retrouve de moins en moins et qui tendent à être remplacés par des contrats résidents ou plus récemment, par des contrats locaux.

Selon l’AEFE, celle-ci emploie chaque année «entre 200 et 300 expatriés et 900 résidents, titulaires de la fonction publique française, pour exercer en détachement au sein du réseau à l’étranger.» A l’heure actuelle, on compterait environ 1.150 personnels expatriés dans l’ensemble des établissements gérés directement par l’AEFE (EGD) ou conventionnés avec elle.

L'ensemble des établissements compte par ailleurs «plus de 5.300 postes de résidents et environ 900 sont pourvus par la campagne de recrutement annuelle qui commence en décembre/janvier. La majorité des résidents sont des personnels enseignants du premier et du second degrés, dans toutes les disciplines», explique l’AEFE.

Toutefois, de moins en moins de postes sous contrat expatrié ou résident sont à pourvoir. «A l’étranger, ces mesures affectent considérablement les enseignants et les établissements: les nombreux refus de détachement ou de renouvellement de détachement dans tout le réseau de l’enseignement français à l’étranger ne permettent pas de constituer des équipes pédagogiques pour les années à venir et placent les enseignants dans des situations personnelles très difficiles. Au Maroc, les enseignants en poste, parfois depuis plus de 20 ans, se voient signifier leur retour en France à compter de la rentrée qui suit», dénoncent encore une fois Philippe Amrane et Véronique Soares.

L’AEFE en convient: «les postes d’expatriés proposés sont de plus en plus orientés vers le management et le pilotage des établissements. A côté de ces postes d’encadrement, de gestion et d’inspection, des missions d'animation et de coordination pédagogiques sont confiées à des enseignants». Autrement dit, les contrats locaux représentent le plus gros des effectifs.

Qu’est-ce que cela signifie et en quoi cela nuit-il à la qualité de l’enseignement dispensé? Les associations de parents d’élèves sont unanimes: «ces postes d’enseignants au primaire et secondaire seront remplacés par des contrats de droit local, qui pour des disciplines spécifiques, (professeurs des écoles, lettres, philosophie, histoire-géographie, physique) ne répondent pas aux exigences pédagogiques attendues et qui plus est, seront à la charge des établissements et par conséquence des familles.»

Mais que faut-il entendre par là? Qu’un professeur expatrié vaudrait mieux qu’un professeur local? Face à cette levée de boucliers contre le recrutement de contractuels locaux, on est en droit de se demander si la ségrégation ne serait pas le véritable problème. Et pour cause, nombreux sont les parents qui pensent qu’en inscrivant leurs enfants à l’école française, les cours seront dispensés par des Français «de souche». Et aux professeurs marocains, les cours d’arabe.

Il serait en fait trop facile de s’arrêter à cela car le problème est en fait plus profond. Pour mieux comprendre les différences de contrats entre types de professeurs, un petit tour du côté de la rubrique «recrutement» de l’AEFE s’impose.

Ici aussi, les professeurs ne sont pas sélectionnés de la même manière et ce que l’on demande à l’un, on ne le demande pas à l’autre.

D’un côté, les expatriés, pour postuler à un poste de professeur, doivent être titulaires de la fonction publique française, et justifier de deux ans de service effectifs en qualité de titulaire en France pour les personnels enseignants du 1er et du 2d degrés. 

De l’autre, les agents résidents, eux, doivent être titulaires de la fonction publique française, d'État, territoriale ou hospitalière (très majoritairement de l'Éducation nationale), et avoir exercé au moins deux ans en qualité de titulaire en France.

Enfin, viennent les recrutés en contrat de droit local qui, eux, peuvent être de nationalité française ou étrangère, titulaires ou non titulaires, et occuper des postes divers: enseignants, emplois administratifs, postes de personnels ouvriers et de services. 

Très clairement, l’exigence n’est pas la même au moment du recrutement. Alors pour pallier le manque de formations des professeurs en contrats locaux, l’AEFE propose aux personnels en contrat local un ensemble d’actions de formation afin de faciliter l’exercice de leur profession.

«L’Agence accorde une attention toute particulière à la formation continue des personnels du réseau, qui constitue la clé de la qualité de l’enseignement et du rayonnement des établissements dans les pays où ils sont implantés», annonce-t-elle sur son site. Un argument qui ne suffit pas à calmer les angoisses de parents échaudés par un manque total de communication et de transparence.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 13/06/2019 à 16h29