«Le premier mémorial de l’Holocauste en Afrique du Nord». C’est en ces termes que l’association allemande Pixel Helper décrit le projet basé à Marrakech, et créé à son initiative.
Dans un long texte publié pour son site, l’association présente la construction de ce mémorial comme «un symbole pour les minorités persécutées dans le monde entier», et ajoute que «la construction du premier mémorial de l'Holocauste en Afrique du Nord devrait servir de source d'informations sur l'Holocauste pour les écoles et le grand public».
C’est ainsi dans la province d’Aît Faska, dans la région de Marrakech et en direction de Ouarzazate, qu’ont été posées, depuis le 17 juillet 2019 selon Pixel Helper, les premières pierres de cet édifice.
Sur les photos diffusées sur le site de l’association allemande, les travaux d’avancement étaient ainsi plus que bien entamés il y a quelques jours encore, avec l’installation de stèles qui avaient pour but de «donner aux visiteurs dans le labyrinthe de blocs gris le sentiment d'impuissance et de crainte que les gens avaient dans les camps de concentration à l'époque».
Et le projet ne se serait pas arrêté là pour autant.
En effet, il était également prévu, d’après le site de l’association, de faire grandir l’enceinte du mémorial. Des appels aux dons, encouragés par un livestream, allaient ainsi permettre de recruter davantage de travailleurs et de construire plus de blocs. «Plus les gens regardent et font des dons, plus le Mémorial de l'Holocauste devient grand», annonce Pixel Helper.
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Mais grand jusqu’à quel point?
Au point de devenir tout bonnement «le plus grand mémorial de l’Holocauste au monde», dixit l’association, avec une taille représentant 5 fois celle du Mémorial de l’Holocauste à Berlin.
Et d’arguer: «les propriétés voisines sont toutes vides, il est donc possible de créer au moins 10.000 stèles».
Après le buzz, le gros cafouillageFace à l’énorme buzz suscité par le partage de cette information dans la presse électronique, les autorités de la province d’Al Haouz n’ont pas tardé à réagir par la voie d’un communiqué, dans lequel elles stipulent que «les informations véhiculées par certains sites électroniques et sur des réseaux sociaux au sujet de l'établissement d'un projet par un ressortissant étranger comprenant un musée et plusieurs installations ainsi qu'un mémorial sous forme de stèles artistiques, dans la commune Ait Faska, (province d'Al Haouz), sont dénuées de tout fondement».
Pire encore, aucune autorisation n’aurait été délivrée pour l’aboutissement de ce projet, alors même que «l'établissement d'un tel projet obéit aux procédures réglementaires et requiert l'obtention des autorisations administratives en vigueur», ajoutent les mêmes sources.
Dans la foulée, des bulldozers ont été acheminés sur place pour détruire ce mémorial, construit dans une totale illégalité. De son côté, Pixel Helper ne décolère pas, et le fait savoir sur les réseaux sociaux, en appelant à «manifester contre la destruction excessive du mémorial pour les juifs assassinés en Europe et contre la persécution de minorités telles que les sinti et les Roms, les musulmans et les homosexuels».
Et de dénoncer que «toutes les œuvres d'art, y compris l'arc-en-ciel à l'entrée, ont été profanées, des équipements coûteux comme un mât de caméra de 15 mètres ont été délibérément détruits par bulldozer. Les lignes d'eau et d’électricité ont été coupées».
Mais ce n’est pas tout, l’association allemande va encore plus loin en y allant de sa propre version des faits et en prétendant que «les autorités marocaines ont été informées de nos plans à chaque instant».
Puis de se contredire franchement en déplorant: «malheureusement, depuis le début, toute coopération a été refusée par les autorités et la première année, tous les rendez-vous ont été rejetés».
Résultat des courses, Pixel Helper ne compte pas s’arrêter là et demande des dommages-intérêts à l'Etat marocain. «Étant donné que nous travaillons avec 10 employés depuis plus de 365 jours, nous avons subi des dégâts d'environ 100.000 €», explique-t-on en appelant à faires des dons via Paypal.
Sous le bitume du mémorial, la duperie des habitantsMais si l’association Pixel Helper s’est offusquée de tels agissements, la branche Marrakchie de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a apporté un autre son de cloche à cette affaire, donnant ainsi une toute autre dimension à ce mémorial.
Avec, à son tour, un communiqué de presse, l’association a ainsi expliqué que cette association s’est en fait jouée non seulement des autorités locales mais aussi des habitants, en ne dévoilant pas les réelles motivations de ce projet et en prétextant la construction «d’un parc de loisirs et d’une station touristique».
«Selon les données recueillies par l’association, l’institution allemande qui a dirigé le projet, a acquis le terrain et construit un siège dans la région et a entamé le processus de construction», explique aussi l’AMDH.
Et pour mener à bien les travaux, Pixel Helper se serait servie de «la main-d’œuvre locale, car l’organisation allemande exploite la pauvreté de la population». Justifiant ces accusations, l’AMDH explique ainsi qu’une aide alimentaire a été fournie à la population locale qui se serait aussi vue construire «un véritable terrain de jeu», et «une roue hydraulique».
Et de poursuivre dans ce même communiqué, «selon nos témoignages, le projet a parfois accueilli des visiteurs étrangers qui pratiquaient des rituels étrangers dans la région et que les habitants suivaient de derrière la clôture entourant le monument».
Outre ces accusations, la branche locale de l’AMDH explique également que selon des informations recueillies, «le propriétaire du site avait prévu de construire un autre projet du même acabit dans la région d’El Ouidane, également près de Marrakech, sans pour autant obtenir la propriété voulue, car la population avait refusé de vendre les emplacements éligibles pour réaliser le projet».
Le bureau Marrakech-Menara de l’AMDH considère par ailleurs inacceptable cette absence d’autorisation car, selon l’association, «il est inconcevable qu’une construction de cette ampleur ait lieu à l’insu du conseil de village et des autorités d’Aït Fasca».
A travers ces aides apportées à la population locale en échange d’une main d’œuvre très bon marché, c’est l’exploitation de la pauvreté des habitants qui est ici dénoncée avec virulence.
Apologie du sionisme?L’AMDH va encore plus loin et voit dans ce projet des visées politiques souhaitant asseoir la normalisation avec l’Etat d’Israël, un fait «contraire aux positions du peuple marocain qui soutient la cause du peuple palestinien».
La branche Marrakech-Menara de l’AMDH appelle, outre la démolition de l’endroit, à l’ouverture d’une enquête dans cette affaire afin «d’identifier les organismes chargés de fournir le terrain pour la mise en place du projet et le début de sa construction», et appelle par la même occasion à des «sanctions juridiques contre les collaborateurs, les clandestins et tous ceux qui n’ont pas exercé leurs fonctions conformément à la loi».
Une enquête est également demandée afin de déterminer les sources de financement du projet, en particulier les dons et les personnes qui les ont autorisés. Objectif: faire la lumière sur ce que l’association de Marrakech considère être une exploitation des crimes nazis pour asseoir un projet de normalisation du sionisme.
La Franc-maçonnerie allemande derrière le projet de MarrakechDes influences maçonniques? PixelHELPER ne s’en cache pas. Bien au contraire, sur son site Internet, la rubrique «Franc-maçon» explique en termes clairs les objectifs de l’association. On apprend ainsi que celle-ci est «une organisation internationale à but non lucratif de défense des droits de l'homme et des minorités, inspirée par les idéaux des francs-maçons».
Plus loin, on apprend également que «les membres maçonniques de PixelHELPER veulent, comme à l'époque de la Révolution française, se défendre contre l'injustice partout où elle apparaît. Pendant des siècles, les Francs-maçons se sont engagés envers le bien dans le monde et essayent d'être un modèle à travers leurs actions. Fidèle à la devise: “Connais-toi toi-même!“, Les membres essaient ensemble de mettre en place une chaîne d'humanité sur le globe».
PixelHELPER a ainsi été fondée en 2011 par «l'artiste de lumière» (et Franc-maçon) Oliver Bienkowski.
Quand le fondateur de l’association allemande était invité au TEDx MarrakechInvité parmi les speakers de l’édition 2015 des TEDx Marrakech, Oliver Bienkowski n’est pas vraiment un inconnu du Maroc.
Cette année là, il avait pris la parole lors de l’évènement dont le thème, «Look on the bright Side», se voulait «un peu ludique avec des images d’Eric de Monty Python, suspendu à sa croix en train de chanter joyeusement au soleil couchant», peut-on lire sur le site des TEDx, organisés au Riad El Fenn, propriété marrakchie de Vanessa Branson, sœur du milliardaire Richard Branson, et fondatrice de la défunte Biennale des Arts de Marrakech.
Parmi les questions soulevées lors de cette précédente édition: «la pensée positive est-elle toujours puissante?», «Avons-nous besoin de trouver un équilibre entre optimisme et réalisme, entre la lumière et l'obscurité?», «Ceux qui sont au pouvoir contrôlent-ils la peur et la négativité?», «Une approche trop prudente de la vie est-elle toujours une force pour le bien?»…
Intervenant en tant que Speaker, Oliver Bienkowski est décrit dans sa présentation comme étant né en 1982 à Kassel, en Allemagne.
«Après avoir terminé ses études en informatique de gestion, il a créé sa propre entreprise de cyber-sécurité. Il a vendu son entreprise en 2006 et a réalisé plusieurs projets différents, a fondé sa propre association et a reçu deux prix pour son engagement social chez “attac“ et “stern.de“».
Parallèlement à ces activités, il est également dit que celui-ci «a commencé à travailler comme Guerilla Artist», avant d’élaborer des projections lumineuses à visées politiques sur des bâtiments, comme lorsqu’en 2008, il projette sur la paroi du Hypo Real Estate à Munich, en lien avec la crise financière, cet extrait d’une vieille chanson à succès allemande: «qui devrait payer pour cela, qui l'a commandé, qui a tant de Pinke-Pinke, qui a tant d'argent?»
Ses projections de lumière, il les reproduira en 2013 en éclairant les ambassades et consulats américains à Berlin, Düsseldorf et Francfort, au sujet du scandale impliquant la NSA, et en projetant les slogans «United Stasi of America» et «Ne nous espionnez pas».
Il a également illuminé la cathédrale de Limbourg avec la phrase de l'un des dix commandements, «tu ne voleras pas», en rapport avec un scandale impliquant l'évêque allemand Franz-Peter Tebartz-van-Elst.
Bienkowski a également projeté en 2014 le slogan «Liberté, Fraternité, Polygamie» sur le Parlement français à Paris, à l’époque même où la France découvrait les frasques extra-conjugales de l’ancien président français François Hollande.
Invité à plusieurs reprises au festival allemand de la lumière à Berlin, on apprend ainsi dans sa biographie que «ses projections artistiques sont un sujet de discussion très médiatisé dans les médias allemands» et qu’en tant que «militant social, il prend fermement position contre l'injustice sociale de différentes manières».
Celui-ci est également présenté comme étant «le PDG d'une agence de publicité allemande», qui a décidé «de changer complètement de vie et est devenu un entrepreneur social chargé de poursuivre la mission de l'entrepreneur social décédé, Karl Heinz Böhm, et de son organisation "Menschen für Menschen" en Éthiopie».
Sa présentation conclut ensuite qu’il a «tout quitté en Allemagne et a décidé de s'engager dans une autre voie, dans l'espoir de changer la vie de millions de personnes à travers le monde avec son projet Pixel Helper», lequel est décrit en 2015 comme étant la «première plateforme interstellaire d'aide humanitaire en direct».
A cette époque-là, nulle mention d’un mémorial pour l’holocauste ni même d’un intérêt particulier pour cette cause.
A l’heure où cet article est mis en ligne, le site Barlamane.com affirme que selon ses sources, Oliver Bienkowski aurait été interpellé par les forces de l’ordre. Souhaitant vérifier son identité lors de la démolition du mémorial, les autorités auraient découvert que celui-ci résidait illégalement au Maroc depuis 2016, date à laquelle il a cessé de renouveler sa carte de séjour, alors qu’il réside au Maroc depuis 2014.
D’après ce média, «il sera présenté devant le procureur général demain, en attendant les révélations de l’enquête entamée autour de sa résidence et ses activités au Maroc».
Une chose est sûre, si les autorités marocaines ont procédé à la destruction de ce projet illégal et quelque peu obscur, il n’en demeure pas moins que le Maroc n’a jamais attendu une quelconque aide ou demande pour préserver la mémoire judéo-marocaine au sein du Royaume.
Preuve en est le musée du Judaïsme de Casablanca, seul musée du genre dans le monde arabe, et la récente ouverture du musée des confluences à Dar El Bacha à Marrakech, sous la houlette de la Fondation nationale des musées.
Mais ce projet aux contours incertains et à l’intitulé résolument élaboré pour interpeller l’intérêt des médias et des réseaux sociaux, semble indissociable de la personnalité de son promoteur. Un militant subversif, agissant aux confins de la performance artistique et du buzz bien orchestré, à des fins ...monnayables.