Un statut unifié pour le personnel de l'enseignement. Voilà l'énoncé du premier examen que devrait passer le ministre de l'Education nationale, Chakib Benmoussa, pour réussir sa feuille de route de la réforme du système éducatif. L'épreuve consiste à assurer équité et efficacité au sein d'un corps composé de 260.000 enseignants, issus de cycles de formation différents et avec de nombreuses distinctions catégorielles.
L'équation est des plus compliquée même pour ce lauréat X-Ponts-MIT qu'est Benmoussa. L'ancien ambassadeur du Maroc à Paris doit d'ailleurs user de tout son tact diplomatique pour négocier ce texte réglementaire, qui devrait déchaîner les passions durant cette saison de dialogue social.
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Depuis plusieurs semaines, le responsable gouvernemental multiplie les rencontres avec les syndicats représentatifs pour discuter les détails de ce nouveau statut, avec l'espoir de rendre sa copie en juillet prochain. «L'idée est de co-construire avec l'ensemble des acteurs un système harmonieux capable de s'inscrire dans la durée et d'assurer le lien entre la valorisation des enseignants, le parcours professionnel et l'impact sur les élèves», disserte le ministre.
Syndicats & contractuelsLes centrales syndicales semblent a priori alignées sur les mêmes objectifs. Abdelilah Dahmane, secrétaire général de la Fédération nationale des fonctionnaires de l'Education nationale, affiliée à l'UNMT, espère lui aussi voir aboutir «un nouveau statut unifié, inclusif qui garantit une sécurité de l'emploi et une évolution de carrière, de manière à mettre fin aux difficultés catégorielles du corps professoral». Le syndicaliste, qui se félicite de «l'approche adoptée par le nouveau ministre», l’alerte néanmoins au sujet des erreurs passées. «Le dernier statut du ministère entré en vigueur en 2003 a fait l'objet de 11 décrets rectificatifs pour résoudre des problématiques soulevées avant même son adoption initiale», explique le syndicaliste, qui estime qu'actuellement «il reste encore tout à négocier».
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Le chemin est donc long avant d'aboutir à un statut consensuel. Surtout que ce nouveau régime est censé régler définitivement la problématique des enseignants cadres des Académies régionales d'éducation et de formation (AREF). En tout, 102.000 enseignants dits «contractuels» sont déployés dans les classes des 11.472 établissements publics, quand ils ne sont pas en grève ou dans la rue. Un dernier débrayage avait d'ailleurs eu lieu entre les 28 février et 6 mars, prenant en otage des centaines de milliers d'élèves, suite à l'arrêt de travail de quelque 25.000 cadres des AREF.
Avec les 18.000 enseignants en formation, le contingent des cadres des académies devra atteindre les 120.000, soit près de la moitié du corps enseignant. Et avec la coordination nationale de ces contractuels, le dialogue semble moins serein. «Qu’on nous intègre maintenant dans la fonction publique dans le cadre du statut de base du ministère de 2003, et par la suite, s’il y a des réformes à faire avec les syndicats, à la sortie du nouveau statut, on est partants», expliquait, au lancement de la grève, Mohamed Boulanouir, une des têtes d'affiche des contractuels.
Ce statut unifié est censé être la clé de voûte de l'apaisement du climat social dans ce département de l'Education nationale. Surtout que les recrutements des enseignants ne risquent pas de s'arrêter de sitôt. «Le besoin en nouveaux enseignants est estimé à quelque 20.000 par an de manière à remplacer les départs en retraite, réduire l'encombrement des classes et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements», projette le ministre.
Pénurie d'enseignantsCe renforcement du corps professoral est crucial pour améliorer les indicateurs de l'école publique. Le projet performance du département de l'Education nationale, publié dans la foulée de la loi de finances 2018, se fixait des objectifs ambitieux quant au nombre d'élèves par enseignants. Pourtant, les réalisations accusent toujours du retard, malgré les recrutements en masse de ces dernières années. Dans le cycle primaire, par exemple, on compte encore plus de 27 élèves pour chaque enseignant, alors que l'ambition est de réduire cette moyenne à 24 écoliers par instituteur, dès l'année prochaine.
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Au-delà du nombre d'enseignants, il est aussi question de la qualité de la formation à ce noble métier. Là aussi, la première année Benmoussa a coïncidé avec le déploiement dans les centres régionaux des métiers d'éducation de la première promotion de la licence en sciences éducatives. «Quelque 3000 lauréats sont diplômés de cette nouvelle filière dont 2700 ont rejoint les centres de formation régionales. Ils restent néanmoins une minorité en comparaison avec le nombre des enseignants en formation», explique Khalid El Bekkari, formateur au centre régional de Casablanca.
Comme de nombreux spécialistes du secteur, ce prof des profs, en exercice depuis 15 ans, commence à ressentir l'effet des premières décisions de Chakib Benmoussa. «J'étais contre la décision du ministère de limiter l'âge d'accès au métier d'enseignant à 30 ans, mais force est d'admettre que c'était une décision judicieuse», confie El Bekkari qui forme aujourd'hui «des jeunes avec des connaissances encore assimilées, alors qu'auparavant la plupart des enseignants en formation étaient des quadragénaires mariés, la tête bien remplie des soucis de la vie».
Budget conséquent mais limitéCet aspect de leur formation sera déterminant pour l'évolution de carrière des enseignants, et donc de leurs émoluments. Mais sur ce front, la marge de manœuvre de Chakib Benmoussa est forcément limitée. Budgétivore, le département de l'Education nationale engloutit déjà dans les 50 milliards de dirhams en dépenses du personnel, dont 10 milliards pour les cadres des AREF.
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Le point de la revalorisation salariale ne sera forcément pas l'unique point d'achoppement dans les tractations pour ce nouveau statut. Il n'en demeure pas moins qu'il risque d'accentuer les tensions dans une conjoncture socio-économique des plus défavorables. Surtout qu'à travers l'histoire du Maroc indépendant, la réforme du statut de l'enseignant a souvent coïncidé avec des crises majeures. «Le premier statut remonte à 1967, en plein Etat d'exception. Et puis il y a eu ceux de 1985 et de 1992, au lendemain de tensions sociales marquantes de notre pays», nous rappelle le syndicaliste Abdelilah Dahmane.
Dans ce contexte post-crise sanitaire, il reste donc à Benmoussa à espérer que durant les tractations qui s'annoncent, la bonne foi constructive puisse l'emporter sur une paralysante surenchère.