Après avoir dénoncé notre manque de civisme dans la vie quotidienne, après avoir contesté la soudaine et injuste cherté de la vie par rapport à notre pouvoir d’achat, il est bon de constater que dans certaines circonstances les Marocains se révèlent formidables.
Un exemple qui m’a fait réfléchir sur nos comportements:
Un ami, de retour de vacances passées au nord de Tétouan avec sa petite famille à bord d’un 4x4 haut de gamme, a perdu subitement le contrôle de son véhicule, sans raison apparente. La voiture s’est renversée avant de terminer sa course dans un champ bordant l’autoroute Tanger-Casablanca.
Heureusement, le couple et ses enfants n’ont pas été blessés. Seul le véhicule a fortement été endommagé.
Au moment de l’accident, plusieurs voitures se sont arrêtées. Leurs occupants vinrent au secours de la famille en question. Le choc avait été puissant. Hébétés, les membres de cette famille ne réalisaient pas ce qui leur arrivait. Du coup, des femmes se sont précipitées auprès de l’épouse pour la réconforter, lui donner à boire, et une dame lui a même proposé un calmant qu’elle avait dans son sac. Une autre a donné aux deux enfants des biscuits et des limonades.
Mieux encore, un homme qui voyageait seul, a proposé d’emmener la famille à Casa. Le père est resté à attendre la dépanneuse et les gendarmes. Tout s’est très bien déroulé. Cette solidarité immédiate et instinctive a remonté le moral aux accidentés.
Et ce cas n’est ni isolé ni exceptionnel. Pas d’indifférence.
Nous savons tous que dans les cas de catastrophes comme le séisme de 2023 dans le Haouz, la solidarité du peuple marocain avec les sinistrés a été formidable.
On se demande comment cela fait-il que ce même peuple, dans sa majorité, ne respecte pas toujours la loi et le droit. On brûle aisément un feu rouge. On refuse la priorité à la voiture en droit de passer. On klaxonne tout le temps, on dépasse la ligne continue et on double dans un virage avec le risque de se trouver face à une autre voiture.
Parfois, on refuse de faire la queue chez le boulanger. On stationne en double file pour discuter avec un copain, ne tenant pas compte des tracas que cela cause aux autres. On jette des détritus par terre. Les plages sont encombrées de bouteilles en plastique et autres peaux de pastèques, etc.
J’arrête là les cas d’incivisme qui nous caractérisent.
Quelqu’un a écrit l’autre jour un témoignage sur son voyage en Corée du Sud et au Japon. Propreté. Respect absolu des règles. Le vivre ensemble obéit à des lois non écrites et suivies à la lettre par tous sans exception. C’est une question d’éducation et de traditions. Un bonheur évident de vivre dans une société où vous n’avez pas à vous battre contre des gens inconscients et irresponsables. Toute quiétude est assurée, naturellement.
«Telle est la société européenne qui a fait de l’individu une entité singulière et unique. L’individualisme a fait disparaître la solidarité humaine. Les relations se sont déshumanisées. La souffrance est là. Les vieux meurent dans la solitude et l’indifférence se généralise. »
— Tahar Ben Jelloun
Au Japon, un pays que je connais et que j’aime, le vol n’existe pas. Pas d’agression, pas de cambriolage, pas de vol à la tire. Pas de violence dans les rues. Cela étant, ce pays, comme tant d’autres, a sa mafia dont les méfaits sont terribles (Les Yakuza sont apparus au 17ème siècle). Mais il existe par ailleurs une sécurité qui rassure le citoyen et lui permet de vivre dans une paix magnifique. Quand les travailleurs japonais font grève, ils se contentent de porter un brassard pour indiquer leur mécontentement. Grèves silencieuses ne gênant pas les consommateurs.
L’expérience brésilienne a été pour moi un calvaire. Il fallait tout le temps faire attention; n’avoir sur soi ni bijou ni autre objet de valeur; rester vigilant, ce qui empêche le loisir de profiter de la beauté des paysages.
Les agressions sont si fréquentes que dès que vous arrivez à l’hôtel on vous fait la leçon: attention, pas de montre au poignet; pas d’appareil photo; pas de téléphone visible, etc.
En quittant ce pays, je savais que je n’y retournerais plus.
Les pays européens connaissent une insécurité grave et fréquente. La police n’arrive plus à y faire face.
Dans ces pays, la solidarité est inconstante. Cela dépend des cas. Mais plus la ville est grande, plus la population devient indifférente au malheur des autres. Les gens ne s’arrêtent pas en cas d’accident parce qu’ils craignent de devoir aller témoigner et perdre leur temps.
Les personnes sans domicile fixe (SDF) sont de plus en plus nombreuses. La crise a touché des gens qui avaient un travail, une famille et qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans rien. Chômage. Fin de l’aide au chômage. Dépression. Dispersion de la famille. Chacun se débrouille comme il peut.
Telle est la société européenne qui a fait de l’individu une entité singulière et unique. L’individualisme a fait disparaître la solidarité humaine. Les relations se sont déshumanisées. La souffrance est là. Les vieux meurent dans la solitude et l’indifférence se généralise.
Il y a bien sûr des exceptions. Mais posez la question aux retraités qui ont choisi notre pays pour finir leur vie. Ils vous diront tous ou presque que ce qu’ils préfèrent chez nous, c’est notre humanité, notre hospitalité et aussi notre générosité.
Ah, si on pouvait veiller dans nos comportements au respect des règles et des lois, au respect de la dignité de chacun! Ce serait parfait. Il suffirait de peu. Que chacun fasse du respect une valeur et un devoir. Il ne le regretterait pas.
P.S. qui n’a rien à voir avec ce qui précède.
Le quotidien Le Monde a consacré six articles au Maroc et à la monarchie. Des citoyens, choqués, ont réagi en écrivant des lettres pour rectifier une vision erronée et parfois caricaturale. En tout cas, malveillante.
Des amis m’ont appelé pour que je réagisse.
En janvier prochain, je publie aux Éditions Gallimard, «Pigiste au Monde», un récit de ma collaboration avec ce journal de 1973 à 2001. Je raconte comment j’avais été accueilli et comment certains m’avaient ostracisé, ne supportant pas une signature arabe dans ce journal. Ce récit éclaire la mécanique complexe du fonctionnement de ce quotidien qui fut important et qui l’est de moins en moins.





