Il était une fois, il n’y a pas si longtemps, au début du siècle passé, un architecte français du nom d’Albert Laprade qui s’en vint vivre à Casablanca et décida de doter cette ville dont il s’éprit d’une Médina telle qu’il en existe dans les villes impériales du Royaume. Et il mettra dix ans à réaliser cet espace enchanteur qu’il concevra comme ouvrant sur " une très vaste place entourée de boutiques et flanquée de grandes tours d’hôtellerie " ; de là partirait " la voie principale, rue de commerce bordée d’un élégant portique à arcades avec boutiques " et qui conduirait à " la place centrale autour de laquelle se groupent grande mosquée, bain maure, bazars".
C’est ainsi donc que virent le jour les Habous de la ville blanche, désormais dotée d’une médina érigée dans la plus pure tradition marocaine, une médina de " rues étroites, avec de pittoresques décrochements, et dont les maisons entièrement tournées vers l’intérieur ouvrent sur le « patio » familial ". Bien sûr, l'histoire des Habous n'a pas toujours été un conte de fée et a fait l'objet de frictions, durant l'occupation française, entre colons et population marocaine, les premiers refusant aux plus pauvres l'accès au quartier. Aujourd'hui, cependant, ce lieu haut en couleurs fait la fierté des casablancais.
La jeune médina des Habous déploie, labyrinthiques, ses ruelles serpentines, scintillantes rigoles courant, dans le tamis des lumières frissonnantes, entre les murs découpés entêtantes arcures, antres, féériques, de charmes orientaux et déployant chatoyants apparats d’étoffes brodées caftans et djellabas, théières pimpantes et plateaux de cuivre ciselé, coffrets de bois ou velours pailleté qui mettent en joie les petites filles, tam-tams et guenbris patinés de mémoires gnawas, cuir coloré où s’enroulent lampes enchantées roses rouges safranes, tatouées de henné, gracieuses silhouettes aux lignes onduleuses magnifiées fer forgé aux courbes langoureuses.
La médina déroule cascade sinueuses ruelles forées dans la pierre vaste étoile à mille branches éployées rêve tentaculaire déroulé clair-obscur dans les poussières volatiles du jour égrainé sur les murs clins d’œil mordorés.
Des effluves de citron et de piment enroulés dans une aile du vent happent le passant au détour d’un chemin, le guident vers le marché aux olives exposées comme autant de joyaux versés en pluie dans d’immenses tonneaux cernant une charmante arène circulaire et sur lesquels les regards glissent avec délice tandis que les lèvres palpent déjà les saveurs confites et pétillantes de ces perles de fruits aux chairs rouges, vertes, or, que les doigts cueillent au passage, ci et là. Plus loin, une caverne creusée mystérieuses grottes comme autant de sésames éclos mille merveilles ondule lentement vers un point lumineux et se jette, soudain, vers une cour inondée de soleil et de tapis volants, suspendus, dans les airs tremblant autres parfums, d’amandes et de miel, échappés à autre antre secret où un magicien, venu de Fès, cisèle gourmandises d’amende et de dentelle. Effluves d’essences de roses, de musc, d’argan et d’orangers distillés dans de petits flacons alignés comme autant de potions magiques se mêlent aux fragrances doucereuses des pralines et cornes de gazelles.
Les repaires des antiquaires recèlent vertigineuses splendeurs de vitaux et cristaux accrochés aux plafonds, de portes centenaires de bois peint ouvragé, de paravents volés à un conte d’orient. Toute jeune médina ? Peut-être, mais déjà légendaire et habitée de mythes. Attablés à la terrasse du café Mauritania, des hommes partagent leurs mémoires des lieux, échangent des souvenirs d’enfance exacerbés exhalaisons de menthe tressées volutes blancs aux tourbillons bleutés des effluves de tabac qui montent vers le ciel comme spires d’un songe ou vibrante prière où s’enroulent échos des rires des enfants. Installés sur des bancs, sous des arbres à palabres qui veillent sur leurs secrets, des hommes et des femmes les regardent courir derrière un vieux ballon qui deviendra pour eux, au fil du temps, le plus beau de tous les ballons du monde.
Oui, par-delà la grande ville trépidante traversée de coups de klaxons qui semblent épeler une insolite étrange oralité, Casablanca a aussi ses mystères et ses havres de paix.




