Les critiques formulées hier, lundi 20 décembre 2021, par le ministère marocain de la Santé, sur l'absence du respect des protocoles sanitaires liés au Covid-19 par les autorités espagnoles, ont visiblement bien du mal à passer auprès du gouvernement espagnol.
Et c’est le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, qui a été le premier à réagir, ce mardi, lors d’une conférence de presse tenue avec son homologue luxembourgeois.
«Le communiqué du ministère marocain de la Santé est inacceptable, car il ne correspond pas à la réalité. L'Espagne, comme vous le savez et comme tout le monde le sait, respecte toutes les exigences internationales, les plus exigeantes en matière de lutte contre la pandémie», a souligné le ministre, dont les propos sont rapportés par l’agence de presse espagnole Europa Press.
«Le gouvernement espagnol agit sans relâche contre le Covid-19. Le communiqué n'est pas acceptable et n'a aucune base objective, et c’est ce que je vais transmettre au Maroc», a insisté le chef de la diplomatie espagnole, indiquant que son département est entré en contact avec l’ambassade d’Espagne à Rabat et celle du Maroc à Madrid.
Le journal d’information El Confidencial avait affirmé peu de temps avant la sortie de José Manuel Albares que le chargé d’affaires à l’ambassade du Maroc à Madrid a été convoqué, ce mardi, par le ministère espagnol des Affaires étrangères. Une démarche qui témoigne généralement d’une exaspération.
Cette réaction virulente du chef de la diplomatie espagnole intervient au lendemain d’un communiqué du ministère marocain de la Santé, dans lequel il fait une mise au point au sujet du choix du Portugal, au lieu de l'Espagne, comme pays de départ pour rapatrier les Marocains bloqués en Europe.
«Cette décision s'explique par l'absence de garanties tangibles concernant le respect des mesures déjà prises, dont le contrôle du pass vaccinal et de l'état de santé des passagers, selon une approche ferme, appropriée et en conformité avec les recommandations et règles internationalement reconnues», a justifié le département de Khalid Aït Taleb.
Le ministère a en outre relevé que la situation actuelle des vols depuis l'Espagne vers le Maroc représente un danger pour la santé des citoyens marocains, de même qu'elle met en péril les acquis réalisés par le Royaume dans la lutte contre le Covid-19. «Les autorités espagnoles compétentes sont loin d'assurer une action rigoureuse de contrôle de l'état de santé des passagers lors de l'embarquement des passagers aux aéroports», a indiqué le ministère de la Santé.
Un coup de sang qui interrogeLe moins que l’on puisse dire, c’est que cette sortie impétueuse du chef de la diplomatie espagnole interroge. La symétrie dans la réaction aurait nécessité que ce soit le ministre de la Santé espagnol qui monte au créneau pour répondre à son homologue marocain, d’autant plus qu’il s’agit ici d’une question purement sanitaire. Ces problématiques liées aux déplacements de passagers d’un pays à l’autre sont, en outre, devenues fréquentes depuis le déclenchement de la pandémie, et n’ont jamais donné lieu à la convocation du premier responsable dans une ambassade. Il est à rappeler que depuis que Madrid a admis en catimini sur son territoire le chef des séparatistes, le dénommé Benbatouche, l’ambassadrice du Maroc à Madrid, Karima Benyaich, a été rappelée à Rabat et n’est toujours pas retournée en Espagne.
La sortie de José Manuel Albares est d’autant plus incompréhensible que pas plus tard que le 16 décembre dernier, il affirmait devant les sénateurs espagnols que «la crise avec le Maroc est derrière nous». Visiblement, il aurait été mieux fondé de substituer «devant» à «derrière». Car sa sortie de ce mardi, de même que la convocation du chargé d’affaires à l’ambassade marocaine, ne vont pas dans le sens de l’apaisement.
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Le chef de la diplomatie espagnole a également affirmé, probablement à l’adresse des Marocains, que «personne ne doit se faire d'illusions. Les intérêts de l'Espagne seront toujours défendus». On ne peut qu’être surpris par cette phrase qui est un peu hors-sujet dans le contexte de la crise sanitaire. On a presque envie de demander à José Manuel Albares: en quoi l’accusation formulée par le ministre marocain de la Santé au sujet du laxisme des autorités espagnoles dans les contrôles anti-Covid constitue-t-elle une menace pour les «intérêts stratégiques» de l’Espagne?
En fait, la défense des «intérêts stratégiques de l’Espagne» est devenue un leitmotiv non seulement de nombre de politiques appartenant au parti d’extrême-droite Vox et à des élus souverainistes quand ils évoquent les relations entre Rabat et Madrid, mais elle est aussi très utilisée par le chef de la diplomatie espagnol. En cela, José Manuel Albares rappelle la fameuse phrase de son prédécesseur, Arancha Gonzalez Laya, qui avait déclaré après la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara que l’Espagne a des intérêts au Sahara occidental. Est-ce à ces mêmes intérêts que fait référence l’actuel chef de la diplomatie espagnole? Est-ce plutôt au maintien de la présence archaïque de l’Espagne sur le continent africain dans la rive sud de la Méditerranée occidentale?
Les mots ne sont jamais bénins et l’expression «intérêts stratégiques de l’Espagne» est souvent citée par les responsables espagnols quand ils parlent du Maroc. Il est temps que les voix sages en Espagne, et il en existe, expliquent à ces responsables chauvins que les intérêts stratégiques de l’Espagne ne se trouvent pas au Maroc, mais dans des relations pérennes et transparentes avec le Maroc.