Les câbles sous-marins? Des tentacules qui permettent et assurent le fonctionnement de plus de 98% des connexions Internet mondiales, reliant quelque 5 milliards d’utilisateurs. Qui dit mieux? En 2024, ce sont environ 1,4 million de kilomètres de câbles qui connectent le continent, ainsi que les espaces insulaires ou isolés. Pour schématiser la cartographie de ces câbles, il faut préciser qu’ils sont répartis sur trois grands axes: transatlantique Europe-États-Unis, Europe-Asie, via le canal de Suez, et transpacifique Asie-Amérique. Il s’agit d’infrastructures stratégiques, la transmission d’informations étant également vitale dans le contrôle de certaines installations comme les barrages, les usines d’eau potable ou les centrales électriques, dont le système de gestion est souvent automatisé ou administré à distance.
Dans le monde d’aujourd’hui, la demande en services numériques ne fait que croître, notamment avec les grands acteurs de l’Internet que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, sans oublier Netflix, Airbnb ou Uber. Au départ, les GAFAM étaient locataires de bandes passantes, lesquelles correspondent à la capacité d’un réseau à transférer des données. Mais les lourdes factures qu’ils payaient aux opérateurs traditionnels et les économies d’échelle qu’ils étaient susceptibles de réaliser les ont poussés à investir dans les câbles sous-marins. L’ordre établi a été alors bousculé. Des investissements massifs permettent désormais à Alphabet (Google), Meta (Facebook), Amazon ou Microsoft de devenir maîtres de leurs infrastructures, leur permettant ainsi de choisir les chemins à emprunter pour faire transiter leurs données. En devenant propriétaires de près de 50% des câbles mondiaux, les GAFAM composent un quasi-monopole. Au détriment de qui? Des États! Une domination qui peut peser sur la «neutralité du Net», du fait du lien de propriété qui les relie aux câbles.
Cela dit, les plus gros enjeux liés à l’installation des câbles restent d’ordre géopolitique. Pour l’heure, quelle est la situation? Le ou les propriétaires d’un câble ont le contrôle sur les informations qui transitent via celui-ci. Ces câbles peuvent alors soit améliorer l’accès à l’information dans diverses parties du globe, soit encore participer à la censure ou la désinformation. Ce qui frappe, c’est le poids des entreprises privées dans la possession des câbles: plus des trois quarts de ces infrastructures sont entre les mains des GAFAM, qui ont ainsi en majorité le contrôle sur la diffusion de l’information. Le problème de souveraineté numérique est même double, puisque ce sont aussi les GAFAM qui détiennent la majorité des données créées par les utilisateurs.
«On est face à un monde numérique dont les infrastructures sont en majorité privatisées. Cela peut poser des problèmes de voir le contrôle des télécommunications ainsi limité à un petit groupe de personnes.»
Devant pareille situation, force est de poser cette question: où sont les pays dans ce marché mondial? Il vaut de noter à cet égard qu’aucun État, à proprement parler, ne détient de câbles sous-marins. Dans ces conditions, ils sont plus à même de soutenir ces opérateurs privés dans le déploiement des câbles. L’enjeu est là: comment les États peuvent alors regagner du poids dans la diffusion de l’information? La voie est celle du soutien de la mise en place de câbles par leurs entreprises nationales. C’est ce qu’est en train d’entreprendre la Chine avec ses GAFA locaux, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). L’investissement se fait dans le déploiement de câbles entièrement gérés par des entreprises chinoises. De quoi permettre au gouvernement d’avoir la mainmise sur la transmission de l’information. Les États-Unis détiennent encore le premier rang et une grande partie des câbles atterrissent sur les plages américaines. Cependant, la Chine et la Russie gagnent du terrain. Quant à l’Europe, elle peine à trouver sa place. Elle n’a plus les moyens d’établir un leadership, surtout sur une route aussi compétitive que celle entre l’Europe et les États-Unis. Dans l’expansion mondiale d’Internet, certaines parties du globe ont encore des difficultés à y avoir accès. C’est notamment le cas des continents africain et sud-américain.
L’on est donc face à un monde numérique dont les infrastructures sont en majorité privatisées. Cela peut poser des problèmes de voir la possession et le contrôle des télécommunications ainsi limités à un petit groupe de personnes. Que faire si ces entreprises décident de «débrancher» un pays? Ou si un accident provoque cette coupure? Et en cause, ici, l’ordre public international…
Tout comme d’autres types de transport (maritime ou ferroviaire), il est plausible que les câbles de télécommunication soient la cible d’attaques. En temps de guerre ou de crise mondiale, couper l’accès Internet d’un ennemi est fortement dissuasif. Il faut également mentionner des actes de sabotage terroristes par différents groupes se mêlant à la partie. D’autres mesures regardent le cas échéant la déstabilisation d’un pays ou encore la surveillance de ses communications. Ces scénarios sont-ils pure fiction? Le rôle de ces câbles est central pour le maintien des connexions mondiales, ce qui en fait des enjeux géopolitiques énormes, tant pour les intérêts sécuritaires et économiques que pour conforter une position dominante et des moyens de pression dans les relations internationales.