La dernière réaction en date est celle du juriste français Jean-Jacques Neuer publiée sur le site d’information Mediapart, qui appelle la CJUE à se conformer à la théorie de "séparation des pouvoirs" chère à Montesquieu.
"Nous l’aurons compris, derrière cette obscure querelle de poissons, il s’agit de faire juger par une Cour de Justice que la présence du Maroc au Sahara est contraire au droit international et notamment à celui des peuples à l’autodétermination. Il s’agit donc d’une question bien plus politique que juridique", souligne le juriste dans un article intitulé "Affaire du Sahara: c'est Montesquieu qu'on assassine!"
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Après avoir rappelé l’arrêt rendu par la CJUE le 21 décembre 2016 sur l’accord agricole UE-Maroc, Jean-Jacques Neuer estime qu’en considérant, dans ses conclusions du 10 janvier dernier, que l’accord de pêche conclu entre l’UE et le Maroc est invalide, l’avocat général de la Cour "est allé un pas plus loin que l’arrêt de 2016".
Pour le juriste français, "l’arrêt de 2016 et surtout la position développée par l’avocat général posent un problème de séparation des pouvoirs au sens que Montesquieu donnait à ce terme".
Déconstruisant l’argumentaire développé devant la cour, Jean-Jacques Neuer estime que l’avocat général ''a outrepassé son champ d’intervention qualifiant cette situation d’excès de pouvoir''.
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Et de s’interroger "que serait une société où la diplomatie serait conduite par les juges sinon un gouvernement des juges?".
L’auteur de l’article souligne que la question du Sahara "relève d’un conflit (…) qui offre un terrain à la patience et au talent des diplomates. Pas des juges".
''Or, fait-il remarquer, c’est très exactement ce qui se produit ici où une qualification qui n’est ni juridique ni factuelle, mais simplement diplomatique -nous le savons la diplomatie est souvent un jeu d’équilibristes- est violemment battue en brèche par une seule personne''.
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Et l’éminent avocat français de poser, en conséquence, la question de l’avenir de "cette possible jurisprudence", estimant que trois scenarii sont envisageables:
Le premier serait d’être cohérent et d’étendre à tous les mêmes règles, détaille-t-il, ajoutant que cela reviendrait à dire que si les juges deviennent des professeurs de vertu omnipuissants, l’Union européenne n’aura plus beaucoup de relations avec les autres pays du monde, ni beaucoup de chances de continuer à exister. "Intuitivement, nous sommes assez rassurés quant au fait que ce scénario n’est pas le plus probable", écrit-il.
Le deuxième scénario, qui lui paraît "beaucoup plus vraisemblable est la tendance qui existe par ailleurs de concentrer les critiques sur l’Afrique et de tourner un œil pudique quand il s’agit de l’Occident ou des partenaires qui lui semblent indispensables ou trop puissants à un moment donné".
"Il faudra alors peut-être par souci de cohérence, ironise-t-il, rebaptiser l’actuelle Cour de Justice de l'Union européenne en Cour de Justice des Anciennes Colonies qui n’aura de justice que le nom".
"Tout aussi vraisemblable, estime le juriste français, est l’hypothèse d’une jurisprudence qui reste sans postérité" et qui "se traduira inévitablement par une perte de crédibilité de la CJUE".
"Le résultat, du point de vue de la justice (et non de la diplomatie pour laquelle nous ne nous reconnaissons aucune compétence ni légitimité), ajoute-t-il, est d’aboutir à ce que les grands principes que l’on prétend défendre se trouveront par le choix d’une mauvaise querelle affaiblis et galvaudés". Et de conclure: "Vouloir ignorer Montesquieu a un prix et il est élevé!".