Abdelaziz Bouteflika a eu visiblement tort, hier, lundi 1er avril, en affirmant, via un communiqué, qu’il cédait le pouvoir en Algérie avant le 28 avril -date de la fin de son mandat- mais qu’entre-temps, il allait prendre d’«importantes mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’État durant la période de transition».
Nombre de commentateurs et de médias ont analysé la plus importante de ces décisions comme étant la volonté d’entraîner dans son naufrage l’homme qui a appelé à sa destitution: le général Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée algérienne.
Ce dernier n’appréciant visiblement pas que le clan Bouteflika laisse planer une épée de Damoclès sur sa tête a pris les devants ce mardi dans un communiqué au ton à la fois menaçant et martial. Ahmed Gaïd Salah a ainsi affirmé, noir sur blanc, que Abdelaziz Bouteflika n’est pas l’auteur du dernier communiqué de la présidence de la République algérienne. Ce qui enlève de facto toute légitimité constitutionnelle à ce communiqué et met le même Gaïd Salah à l’abri de se voir relever de ses fonctions. D’ailleurs, sur ce sujet précis, il a du reste affirmé: «alors que le peuple algérien attendait avec impatience la satisfaction de ses revendications légitimes, parut en date du 1er avril un communiqué attribué au Président de la République, alors qu’en réalité il émanait d’entités non constitutionnelles et non habilitées, ayant trait à la prise de décisions importantes concernant la phase de transition. Dans ce contexte particulier, nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue».
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Plus encore, Gaïd Salah estime également «qu’il n’y a plus lieu de perdre davantage de temps et qu’il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l’Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle». Une précision de taille, qu’il a annoncée durant une réunion du Haut commandement de l’armée, au cours de laquelle il a tiré à boulets rouges sur le cercle présidentiel qu’il a qualifié, ni plus ni moins, de «bande de malfaiteurs».
Le clan Bouteflika n’a eu, en conséquence, d’autre choix que d’abdiquer sous peine de se voir arrêté manu militari. La supériorité de Gaïd Salah n’a dès lors plus fait aucun doute, dès cette cruciale réunion de ce mardi 2 avril 2019, à laquelle a, du reste, pris part le général Ben Ali, commandant de la garde républicaine, qui aurait pu, dans un autre scénario, constituer le redoutable rempart du clan Bouteflika contre Gaïd Salah. Désormais dépourvu de l’appui de la garde républicaine, le clan Bouteflika est devenu, de fait, une proie facile. Et c’est ce qui explique, avec clarté, la vitesse à laquelle Bouteflika a démissionné devant le Conseil constitutionnel, juste après ce communiqué de l’armée algérienne.
Question brûlante: est-ce que le fait d’avoir poussé Bouteflika à démissionner va pour autant apaiser la colère des Algériens? Dans son communiqué (à lire dans son intégralité, ci-dessous), Gaïd Salah multiplie les appels du pied en direction du peuple d’Algérie. Mais pas sûr, pour autant, que cela empêchera les Algériens de sortir, et de manifester à nouveau vendredi prochain. Parce que Gaïd Salah est, justement, l’incarnation même de ce système que les manifestants veulent voir disparaître.
Voici le texte intégral du communiqué du ministère de la Défense algérienne:Monsieur le Général de Corps d’Armée Ahmed Gaïd Salah, Vice-Ministre de la Défense Nationale, Chef d’Etat-Major de l’Armée Nationale Populaire a présidé, l’après-midi d’aujourd’hui, 02 avril 2019, une réunion au siège de l’Etat-Major de l’Armée Nationale Populaire, avec les Commandants de Forces, les Commandants des Régions Militaires, le Secrétaire Général du Ministère de la Défense Nationale et les Chefs des deux Départements de l’Etat-Major de l’Armée Nationale Populaire.
Cette réunion s’inscrit dans le cadre du suivi des développements relatives à la proposition formulée par l’Armée Nationale Populaire visant la mise en application des articles 7, 8 et 102 de la Constitution.
Monsieur le Général de Corps d’Armée a souligné avoir suivi, de près, les manifestations pacifiques, lors desquelles le peuple algérien est sorti exprimer des revendications légitimes, comme il a salué le comportement civilisé et le haut niveau de conscience et de maturité dont a fait preuve le peuple algérien tout au long de ces manifestations, exprimant sa parfaite adhésion aux revendications et ambitions légitimes, partant de sa conviction puisée de son attachement à la légitimité constitutionnelle et du fait que le peuple est la seule et unique source du pouvoir.
Monsieur le Général de Corps d’Armée a rappelé les efforts de l’Armée Nationale Populaire pour trouver une solution à la crise depuis le début des manifestations, où il a insisté, en date du 18 mars dernier, au niveau du Secteur Opérationnel Sud Tindouf en 3ème Région Militaire, sur l’impératif de résoudre cette crise dans les plus brefs délais et que les solutions à cette problématique existent, pourvu qu’elles s’inscrivent dans le cadre constitutionnel. Cependant, et devant l’absence de toute réaction à cette démarche et au regard de la sensibilité de la situation dont il est profondément conscient, il a évoqué la question, encore une fois, lors de son intervention du 26 mars au niveau du Secteur Opération Sud-Est de Djanet en 4ème Région Militaire, et a affirmé qu’il était nécessaire de trouver une solution pour sortir de la crise dans l’immédiat et a proposé la mise en application de l’article 102 de la Constitution, comme solution s’inscrivant exclusivement dans le cadre constitutionnel, considéré comme l’unique garantie pour maintenir une situation politique stable.
La dernière intervention en date, était lors de la réunion tenue au niveau du siège de l’Etat-Major de l’Armée Nationale Populaire, en date du 30 mars, au cours de laquelle il a réitéré la nécessité de mettre en application les articles 7, 8 et 102 de la Constitution et qu’aucune autre solution en dehors du cadre constitutionnel ne peut être envisagée. En réponse à cette démarche, ajoute Monsieur le Général de Corps d’Armée, le peuple algérien a approuvé cette proposition et a salué les efforts de l’Armée Nationale Populaire pour trouver une solution constitutionnelle pour cette crise dans les plus brefs délais: «Le peuple algérien a approuvé cette démarche et l’a accueillie favorablement, voyant en elle un signe de bon augure et un espoir pour sortir de la crise. Cette initiative a été présentée par l’Armée Nationale Populaire, partant de son sentiment de responsabilité historique envers le peuple et la patrie.
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Malheureusement, cette démarche a été accueillie par l’entêtement, la tergiversation et la sournoiserie de certains individus qui œuvrent à faire perdurer la crise et la rendre plus complexe, avec comme seul souci la préservation de leurs intérêts personnels étroits, en se souciant que peu des intérêts du peuple et de l’avenir du pays.
Les efforts consentis par l’Armée Nationale Populaire depuis le début de la crise et son alignement total sur les revendications populaires, confirment que son unique ambition est de veiller à préserver la conception constitutionnelle de l’Etat, garantir la sécurité et la stabilité du pays et protéger le peuple d’une poignée de personne qui s’est indument accaparée des richesses du peuple algérien. A l’heure qu’il est, elle s’affaire à contourner ses revendications légitimes en fomentant des plans douteux, tendant à déstabiliser le pays et l’entrainer dans le piège du vide constitutionnel».
Quant aux vastes opérations de pillage et de dilapidation qu’a connues notre pays, ciblant ses potentiels et ressources économiques et financières, Monsieur le Général de Corps d’Armée s’est interrogé sur les moyens qui ont permis à cette poignée de personnes d’amasser des richesses immenses par des voies illégales et dans un court laps de temps, en toute impunité, profitant de leur accointance avec certains centres de décision douteux, et qui tentent ces derniers jours de faire fuir ces capitaux volés et s’enfuir vers l’étranger. Il y a lieu d’indiquer dans ce contexte que les décisions de poursuites judiciaires contre ces derniers émanent de la justice par le biais du procureur général, mû par son adhésion aux revendications populaires insistantes. Ainsi des décisions préventives ont été prises à l’encontre de certains individus, leur interdisant le déplacement jusqu’à l’accomplissement des procédures d’enquête, alors que les structures de compétence relevant du Ministère du Transport ont mis en œuvre des mesures d’interdiction de décollage et d’atterrissage des avions privés appartenant à des hommes d’affaire au niveau des aéroports du pays, conformément aux dispositions légales en vigueur.
Concernant le communiqué attribué au Président de la République, publié hier, Monsieur le Général de Corps d’Armée a souligné: «Alors que le peuple algérien attendait avec impatience la satisfaction de ses revendications légitimes, parut en date du 1er avril un communiqué attribué au Président de la République, alors qu’en réalité il émanait d’entités non constitutionnelles et non habilitées, ayant trait à la prise de décisions importantes concernant la phase de transition. Dans ce contexte particulier, nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue».
Monsieur le Général de Corps d’Armée a évoqué des réunions suspectes tenues clandestinement pour comploter contre les revendications du peuple et adopter des pseudo-solutions en dehors du cadre de la Constitution afin d’entraver les démarches de l’Armée Nationale Populaire et ses propositions de sotie à la crise et, partant, exacerber la situation et la rendre plus compliquée. Tout ceci est entrepris en coordination avec les entités non-constitutionnelles. Toutefois certaines de ces parties se sont manifestées, tentant vainement de nier leur présence dans ces réunions et induire l’opinion publique dans l’erreur, malgré l’existence de preuves irréfutables attestant ces réalités malveillantes.
Quant aux efforts fructueux et soutenus, que l’Armée Nationale Populaire ne cesse de fournir, afin d’ériger une Armée forte, moderne et professionnelle, Monsieur le Général de Corps d’Armée a affirmé : « Certains semblent avoir oublié que l’Armée Nationale Populaire a payé de lourds tributs et sacrifié des contingents de martyrs du devoir dans sa lutte contre le terrorisme abject une décennie durant, lors de laquelle elle a réussi grâce à Allah le Tout-Puissant et à l’aide de ce peuple vaillant, d’éradiquer ce fléau et de prémunir notre pays de ses nuisances.
Elle continue de consentir tous ses efforts au service de sa patrie afin qu’elle demeure fière et jouissant de la paix, en se déployant dans tous les recoins du territoire national et aux abords de nos étendues frontières, vigilante de jour comme de nuit, afin de contrecarrer tous les fléaux de terrorisme, trafic d’armes et de drogues, ainsi que la criminalité organisée sous toutes ses formes.
Tout ceci a été possible grâce à la stratégie judicieuse et pertinente adoptée par le Haut Commandement de l’Armée Nationale Populaire, constamment adaptée en fonction de l’évolution de la situation. Cette stratégie a porté ses fruits à travers l’instauration des facteurs de sécurité et de stabilité à travers tout le territoire national.
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Ces réalisations ne sont pas le fruit du hasard, mais ont été réalisées grâce aux efforts des hommes et leurs incommensurables sacrifices. Nous nous sommes attelés, depuis des années, à construire une armée forte, moderne et professionnelle; une armée aux rangs serrés, prête à s’acquitter de ses missions en toutes circonstances ; une armée dont les éléments sont imprégnés d’un haut sens de patriotisme et d’une discipline exemplaire, afin que l’Armée Nationale Populaire demeure la colonne vertébrale de l’Etat et le soutien du peuple dans les épreuves et les crises. Mais ceci a dû exaspérer certaines parties, qui s’échine à cibler l’Armée en portant atteinte à sa réputation et la cohésion de ses composantes, afin de réaliser leurs desseins malveillants. Des desseins que l’Armée Nationale Populaire, qui demeure une ligne rouge, saura contrecarrer avec toute la rigueur et la détermination et en usant de tous les moyens légaux.
Ces acquis précieux et inestimables qu’il nous appartient de préserver en toutes circonstances, notamment au regard de la situation délétère dans notre région. Partant de ce principe, nous ne permettrons jamais et en aucun cas que ces acquis, qui sont en réalité les acquis du peuple algérien, soient compromis ». Monsieur le Général de Corps d’Armée a réitéré son immuable alignement aux côtés du peuple, en tant que Moudjahid qui assume pleinement ses responsabilités historiques: «J’ai confirmé à maintes fois qu’en ma qualité de Moudjahid ayant lutté par le passé contre le colonialisme tyrannique et ayant vécu la souffrance du peuple en cette période difficile, je ne saurai me taire aujourd’hui sur les complots et les conspirations abjectes, fomentés par une bande qui a fait de la fraude, la malversation et la duplicité sa vocation. Aussi, je suis avec le peuple et à ses côtés pour le meilleur et pour le pire, comme je le fut par le passé, et je m’engage devant Allah et devant la patrie et le peuple que je n’épargnerai aucun effort à cette fin, quoi qu’il m’en coûtera».
A l’issue, Monsieur le Général de Corps d’Armée a réitéré son attachement à l’application de la proposition de l’Armée nationale Populaire sans plus tarder: «Ainsi, nous estimons qu’il n’y plus lieu de perdre davantage de temps et qu’il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l’Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle.
Aussi notre décision est claire et irrévocable. Nous soutiendrons le peuple jusqu’à ce que ses revendications soient entièrement et totalement satisfaites. Etant le fils du peuple et partant de la responsabilité historique qui m’incombe, je ne pourrai que m’aligner sur ce peuple dont la patience n’a que trop durer et qui a tant souffert des différentes épreuves. Car il est temps pour qu’il recouvre ses droits constitutionnels légitimes et sa pleine souveraineté.
Enfin, nous réitérons encore une fois que notre démarche pour trouver une solution à cette crise, émane exclusivement et strictement de notre allégeance envers la Patrie et uniquement la Patrie, car nous croyons fermement en la capacité du peuple algérien à surpasser les crises, aussi graves qu’elles puissent être, grâce à ses référents historiques et civilisationnels ainsi qu’à ses ressources humaines imprégnées de patriotisme et parce que nous somme convaincus qu’aussi longtemps qu’une personne vive, elle est appelée à disparaitre un jour, mais la patrie vivra éternellement».