"Le peuple veut qu'ils partent tous", "Baraka (ça suffit) ce système", ont scandé des centaines de manifestants réunis devant la Grande Poste, bâtiment emblématique du centre d'Alger devenu le point de ralliement de la contestation dans la capitale.Il y a deux mois encore, les manifestations à Alger étaient interdites et le scénario semblait écrit: les Algériens iraient aux urnes, jeudi 18 avril, pour offrir à Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, un 5e mandat à la tête de l'Algérie qu'il gouvernait sans partage depuis 20 ans.
Mais la perspective d'un nouveau quinquennat d'un président handicapé et aphasique depuis un AVC en 2013 a poussé en masse les Algériens dans la rue à partir du 22 février.
Depuis, les millions de manifestants, à travers le pays, ont obtenu, au fil des manifestations de vendredi, qu'Abdelaziz Bouteflika renonce à un nouveau mandat puis qu'il quitte le pouvoir avant même la fin de son mandat en cours.
Lire aussi : Algérie: trois preuves que c'est Ahmed Gaïd Salah le problème
Vendredi, ils devraient être à nouveau galvanisés par la démission, dans la semaine d'un nouveau cacique du régime, Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel.
Avec Abdelkader Bensalah, président de la Chambre haute propulsé chef de l'Etat par intérim, et le Premier ministre Noureddine Bedoui, Tayeb Belaiz était l'un des "3B", membres du premier cercle autour de M. Bouteflika, dont la contestation exige désormais en priorité le départ.
Sa démission ne devrait pas suffire à apaiser les manifestants qui ont peu ou prou obtenu une concession, un recul ou une tête après chaque vendredi d'imposantes mobilisations.
Sans compter le fait que son remplaçant, Kamel Feniche, membre depuis 2016 du Conseil constitutionnel et inconnu du grand public a, pour les contestataires, toutes les caractéristiques du fidèle serviteur du "système".
"Feniche, Belaiz: kif kif", indique un manifestant sur une pancarte vendredi à Alger, où la police, accusée ces dernières semaines d'avoir tenté de réprimer le mouvement de contestation, se fait discrète.
"Ce n'est pas par ce que Belaiz a démissionné que c'est fini. Feniche c'est pas mieux. A quoi le Conseil Constitutionnel a servi, à part valider la fraude du système dont il fait partie?", demande Lyes Adimi, étudiant de 24 ans.
Au-delà de la personne de Belaiz, la contestation refuse toujours que les institutions et personnalités de l'appareil mis en place par M. Bouteflika gèrent la transition dans ce pays pétrolier.
Lire aussi : Algérie. La rue obtient la tête de Belaiz: mais toujours pas de solution politique
Et après avoir refusé un scrutin de façade pour réélire Bouteflika, ils refusent la nouvelle présidentielle fixée, conformément à la Constitution, au 4 juillet pour lui élire un successeur.
Un processus de transition soutenu par l'armée, replacée au centre du jeu politique par la démission de Bouteflika.
L'armée "est convaincue que la gestion de la crise passe par des mesures d'apaisement", estime Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen de Genève. Elle procède de façon "graduelle pour minimiser l'étendue des concessions et s'assurer de leur pertinence" auprès de la contestation.
Jusqu'à quand l'armée pourra-t-elle maintenir sa défense du "processus constitutionnel", s'interrogent les observateurs? "On entre désormais dans le dur" tant les positions semblent irréconciliables, a expliqué à l'AFP l'un d'eux, sous le couvert de l'anonymat.
"Toutes les options restent ouvertes pour trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais", a néanmoins souligné cette semaine le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et de facto homme fort de l'Algérie, laissant penser que l'institution militaire pourrait assouplir sa position.
Lui aussi contesté par la rue en tant qu'ex-pilier du régime, le général Gaïd Salah a aussi voulu rassurer en affirmant que l'armée ne tournerait pas ses armes contre le peuple.
Bensalah a de son côté entamé des rencontres "dans le cadre de la volonté de concertation", selon la présidence, mais les "personnalités nationales" reçues semblent loin de correspondre au changement réclamé par la contestation.
L'opposition a elle été invitée lundi prochain à une "réunion de concertation". "Les restes du pouvoir invitent les restes de l'opposition (...) afin de décider à la place du peuple", écrit le quotidien arabophone El Khabar.